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Plan d’intervention et de recherche quinquennal

0. Arrimer les activités avec des intervenants et organisations du milieu juridico-documentaire

1.Concepts & théories : 1.1 Réseau, dynamiques des marchés ; 1.2 Communs, utilitarisme et libre accès (données ouvertes liées et éventuellement, les oeuvres elles-mêmes)

2. Pratique professionnelle, concepts limitrophes : 2.1 Ludos et jeux vidéo ; 2.2 droit du livre numérique multimodal

0′. Structures : comment interroger nos pratiques et conceptualisations grâce aux structures juridiques(existantes) et technologiques (anticipées: libre accès aux métadonnées/oeuvres)

Conférence LLD

Intermède : le réseau dans ma thèse (jour 4)

J’ai l’énorme privilège de participer à l’École thématique CNRS sur l’Analyse de réseaux et complexité.

Ce matin, jeudi, j’ai pris 15 minutes de retard (juré!) car j’ai bouquiné au tabac du très sympathique village de Cargèse, il y avait une chouette sélection de bandes dessinées corses, alors j’ai manqué le début de la première session. En guise d’intermède, je vous balance la moitié de la 2e partie de ma thèse, où je traite du concept des réseaux du point de vue de la sociologie du droit. Pour lire l’ensemble de celle-ci, vous pouvez la télécharger depuis l’archive institutionnelle de l’Université de Montréal: Émergence de normes dans les systèmes économiques et sociaux d’oeuvres numériques protégées par droit d’auteur par Olivier Charbonneau 

2.1.2.3 Le pouvoir communicationnel, vers les réseaux

[202] À la théorie des systèmes sociaux de Luhmann, nous désirons juxtaposer certaines autres théories des sciences sociales et juridiques afin de mieux conceptualiser notre problématique. Les réseaux jouissent d’une certaine popularité depuis quelques années et représentent une structure sociale flexible et puissante pour représenter des réalités à étudier379. Le paradigme du réseau n’est pas étranger à la sociologie. Les critiques380 des réseaux les opposent à l’arbre, une structuration hiérarchique et centralisée et note que l’émergence de ce concept n’est pas si contemporain que l’on pense. Par contre, nul ne peut nier l’engouement récent pour le concept de réseau dans plusieurs domaines, dont la sociologie.

[203] Sur le thème de la communication dans les systèmes sociaux et des réseaux en particulier, il est impossible de passer sous silence les travaux de Manuel Castells381. En effet, ce chercheur américain d’origine espagnole précise que :

« Power is primarily exercised by the construction of meaning in the human mind through processes of communication enacted in global/local multimedia networks of mass communication, including mass self-communication. Although theories of power and historical observation point to the decisive importance of the state’s monopoly of violence as a source of social power, I argue that the ability to successfully engage in violence or intimidation requires the framing of individual and collective minds. » 382

379 DUNCAN J. WATTS, «The “New” Science of Networks», (2004) 30 Annual Review of Sociology 243 380 PIERRE MUSSO, Critique des réseaux, Presses Universitaires de France, 2003
381 MANUEL CASTELLS, Communication power, Oxford ; New York, Oxford University Press, 2009
382 Id. , p. 416

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[204] Le rôle de la communication pour Castells est de servir de vecteur aux acteurs d’un réseau pour tisser des liens ou des relations de pouvoir. Mais la théorie de Castells, quoique importante du point de vue du paradigme de la communication, nécessite l’introduction du concept du réseau. Le réseau est une forme ou manifestation particulière d’un système social.

[205] Manuel Castells a longuement réfléchit à l’émergence des réseaux383 dans nos société dans son opus du début du 21e millénaire. Comme le note Webster :

«Castells argues that we are undergoing a transformation towards an ‘information age’, the chief caracteristic of which is the spread of networks linking people, institutions and countries. There are many consequences of this, but the most telling is that the network society simultaniously heightens divisions while increasing integration of global affairs. Castells’s concern is to examine ways in which globalization integrates people and processes and to assess fragmentations and disentagrations. » 384

[206] Justement, dans sa trilogie de la société en réseau, Castells affirme que la structure sociale du réseau offre une nouvelle façon de concevoir la réalité contemporaine, particulièrement dans un contexte hautement numérique. Il définit les réseaux comme suit :

« Networks constitute the new social morphology of our societies, and the diffusion of networking logic substantially modifies the operation and outcomes in processes of production, experience, power, and culture. […] A network is a set of interconnected nodes. A node is the point at which a curve intersects itself. What a node is, concretely

383 MANUEL CASTELLS, The Internet galaxy : reflections on the Internet, business, and society, Oxford ; New York, Oxford University Press, 2001
384 FRANK WEBSTER, Theories of the information society, 3rd, New York, Routledge, 2006 , p. 101-2

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speaking, depends on the kind of concrete network of which we speak. » 385

[207] Les réseaux peuvent émerger dans différentes sphères et Castells précisent que la :

« new economy is organised around global networks of capital, management, and information, whose access to technological know- how is at the roots of productivity and competitiveness. » 386

[208] Les réseaux, toujours selon Castells, constituent un changement qualitatif dans l’expérience humaine. La culture, longtemps dominée par la nature, a su assoir son emprise sur celle-ci suite à la Révolution industrielle. Suite à l’émergence des réseaux, nous débutons une troisième ère387, que certains nomment la société postindustrielle388. Il s’en suit donc que l’information, et la communication de celle-ci, devient le facteur déterminant dans l’analyse de la société en réseau.

[209] Du point de vue de la culture, Castells spécifie que :

« cultures manifest themselves fundamentally through their embeddedness in institutions and organizations. By organizations, I understand specific systems of means oriented to the performance of specific goals. By institutions I understand organizations invested with the necessary authority to perform some specific tasks on behalf of societies as a whole. » 389

385 MANUEL CASTELLS, The rise of the network society, 1, Oxford ; Malden, MA, Wiley-Blackwell, 2010 , p. 500-1
386 Id. , p. 502
387 Id. , p. 508

388 DANIEL BELL, The coming of post-industrial society : a venture in social forecasting, London, Heinemann Educational, 1974
389 M. CASTELLS, préc., note 385 p. 163-4

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[210] Cette distinction entre organisation et institution rappelle le processus de légitimation en démocratie de Habermas que Castells390 cite directement. En fait,

« the institutions of the state and, beyond the state, the institutions, organisations, and discourses that frame and regulate social life are never the expression of « society, » a black box of polysemic meaning whose interpretation depends on the perspective of social actors. They are crystallized in power relationships […] that enable actors to exercise power over other social actors in order to have the power to accomplish their goals. » 391

[211] Voilà l’intérêt global de l’approche de Castells :

« Actors produce the institutions of society under the conditions of the structural positions that they hold but with the capacity (ultimetaly mental) to engage in self-generated, purposive, meaningful, social action. This is how structure and agency are integrated in the understanding of social dynamics, without having to accept or reject the twin reductionisms of structuralism or subjectivism. This approach is not only a plausible point of convergence of relevant social theories, but also what the record of social research seems to indicte. » 392

[212] Castells offre donc une critique et une contextualisation du structuralisme, dont Luhmann est un théoricien. Castells cherche à souligner que :

« power is not located in one particular social sphere or institution, but it is distributed throughout the entire realm of human action. Yet, there are concentrated expressions of power relationships in certain social forms that condition and frame the practice of power in society at large by enforcing domination. Power is relational, domination is institutional. » 393

[213] Ironiquement, les réseaux nécessitent certaines technologies. Ils dépendent aussi de la maturité sociale des sociétés industrialisées, voire

390 M. CASTELLS, préc., note 381, p. 12 391 Id. , p. 14
392 Id.
393 Id. , p. 15

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postindustrielles394, pour supplanter les hiérarchies395, principalement pour permettre à leur « flexibility, scalability and survivability 396 » d’émerger et de se réaliser pleinement. Le pouvoir dans un réseau s’exerce par ceux qui créent et opèrent les réseaux ainsi que par ceux qui établissent des liens entre les réseaux et en leur sein. En réalité :

« the power holders are the network themselves. Not abstract, unconscious networks, not automata : they are human organized around their projects and interests. But they are not single actors (individuals, groups, classes, religious leaders, political leaders), since te exercise of power in the networksociety requires a complex set of joint action tht goes beyond alliances to become a new form of subject, akin to what Bruno Latour has brilliantly theorized as the « actor- network. ». » 397

[214] Pour le sociologue des sciences Bruno Latour398, cité par Castells, la théorie des réseaux de Castells épouse les deux définitions possibles du terme, soit celui de réseau technique (téléphonique, électrique, numérique) ainsi que celui qui est utilisé en sociologie pour distinguer les organisations, les marchés et les états. Toujours selon Latour399, Castells a, dans son recours sur les technologies de l’information, imaginé un mode privilégié d’organisation.

[215] Castells étoffe le systémisme luhmannien grâce à la topographie particulière du réseau. D’un côté, Luhmann stipule qu’un système émerge en réaction à la complexité de son environnement. De l’autre,

394 D. BELL, préc., note 388
395 M. CASTELLS, préc., note 381, p. 22
396 Id. , p. 23
397 Id. , p. 45
398 BRUNO LATOUR, Reassembling the social an introduction to actor-network-theory, Oxford ; New York :, Oxford University Press, 2005 , p. 129
399 Id.

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Castells indique que les agents interagissent en réseau pour déployer leur pouvoir par des institutions. La complexité de Luhmann devient le pouvoir de Castels. Il est essentiel de juxtaposer ces deux théories sociologiques dans le contexte de nos travaux afin de pouvoir passer d’un bagage de connaissance à l’autre.

[216] L’intérêt de cette juxtaposition conceptuelle découle aussi d’une réalité où les agents sociaux se coordonnent en classes formant des entités distinctes, mais hautement symboliques. Les agents, au sein d’une même classe d’individus homogènes ou entres diverses classes, sont liées, tour à tour, par des liens. Plus simplement, les agents se structurent en réseau et ces réseaux d’agents constituent une nouvelle structure sociale, elle-même entrant en relation avec d’autres structures. Pour tout dire, si le réseau représente une structure possible des éléments d’un système social, il semble que le paradigme du réseau soit une structure qui est de plus en plus évoquée et étudiée pour appréhender des circonstances où des éléments d’un système social se coordonnent par consensus.

[217] Ainsi, si le concept de communication permet de créer une théorisation ouverte des relations entre les éléments d’un système social, celui du réseau permet de constater, à un niveau conceptuel équivalent, que cette morphologie particulière impacte l’élaboration de notre méthodologie. Pour Luhmann et Castells, les risques et les

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coordinations découlant des communications entre des éléments d’un système social permettent d’étudier les contours de ces systèmes sociaux. Le paradigme du réseau permet de comprendre une forme particulière de système dans lequel les éléments interagissent.

[218] Les théories de Luhmann sur les systèmes sociaux offrent les outils conceptuels nécessaires pour appréhender cette réalité mais l’intérêt d’un rapprochement entre les systèmes sociaux et les réseaux est de faire le pont entre certaines théories complémentaires des sciences sociales et juridiques. Cette morphologie peut s’appliquer aux relations entre les éléments d’un système social pour représenter l’émergence d’un ordre négocié ou consensuel. Justement, cette même dialectique se voit reflétée dans le domaine juridique.

[219] Pour tout dire, le concept de réseau s’est imposé pour décrire certaines réalités sociales et se juxtapose parfaitement aux théories systémiques. Comme nous l’avons évoqué, son incorporation en droit ouvre la porte à l’étude de systèmes complexes afin d’en voir émerger des normativités nouvelles.

2.1.2.4 La quantification des réseaux

[220] Bien avant que les sociologues aient recours aux paradigmes associés aux réseaux, les mathématiciens ont développés des outils conceptuels et analytiques sophistiqués pour étudier les réseaux. Les premiers travaux à cet effet sont tracés à Euler au 18e siècle avec la

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théorie des graphes400 où une série de relations sont représentés par des noyaux connectés par des vecteurs. Malgré un certain intérêt pour ces questions du point de vue des mathématiques théoriques depuis le milieu du 20e siècle, il a fallu attendre l’émergence des ordinateurs ainsi que d’Internet pour que le paradigme du réseau prenne réellement son envol401. Aujourd’hui, des outils informatiques puissants permettent de capturer des données ayant trait à des réseaux existants. De plus, les ordinateurs permettent maintenant une représentation des réseaux complexes soit par une analyse statistique, soit par une visualisation ultérieure grâce à de nouveaux outils tels les bases de données relationnelles ou graphiques402.

[221] L’étude des réseaux réels403 grâce aux mathématiques permet de dégager des constats surprenants à partir de données n’ayant aucun lien entre elles. Il semble que l’interconnexion des pages sur Internet, les relations entre les neurones du cerveau, ou quelles protéines interagissent avec d’autres dans une cellule, tous des exemples de réseaux réels, ont des propriétés mathématiques inhérentes, peu importe la situation qu’ils représentent404.

400ALBERT-LASZLÓ BARABÁSI, Network Science, Boston, MA, Center for Complex Network Research, 2012 p. 24
401 Id.,p.8
402 Id.

403 À l’opposés des réseaux théoriques, dits aléatoires. Les noyaux sont reliés par des vecteurs d’une manière aléatoire.
404 ALBERT-LASZLÓ BARABÁSI, Linked : the new science of networks, Cambridge, Mass. :, Perseus Pub., 2002 , p. 21

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« Real networks are governed by two laws : growth and preferential

attachment. Each network starts from a small nucleus and expands

with the addition of new nodes. Then these new nodes, when deciding

where to link, prefer the nodes that have more links. These laws

represent a significant departure from earlier models, which assumed

a fixed number of nodes that are randomly connected to each other. » 405

[222] Également, l’étude des réseaux réels permet de voir émerger certains autres paramètres. Premièrement, il est possible de calculer la distance (moyenne ou maximale) entre deux noyaux et, malgré la complexité des réseaux réels, cette valeur est relativement basse406. L’étude de Stanley Milgram407 a, par exemple, confirmé que chaque Américain est séparé de n’importe quel autre concitoyen par six degrés de séparation et représente une manifestation particulière des réseaux réels. Sur un thème similaire, Granovetter408 a déterminé qu’il est plus probable que nous dénichions un emploi grâce à une connaissance plutôt qu’un ami intime. Son étude sociologique offre un autre exemple de notre petit monde (small world) où certains noyaux ont une quantité disproportionnée de liens, ce qui en fait des moyeux. Les autres ont une quantité moindre de liens. La distribution des liens pour chaque noyau dans les réseaux réels suit une loi de puissance. Ces deux études ont révélé des topographies de réseaux réels qui se répercutent à travers d’autres réseaux réels.

405 Id. , p. 95
406 Id. , p. 69
407 STANLEY MILGRAM, «The small world problem», (1967) Psychology Today 60
408 GRANOVETTER, «The strenght of weak ties», (1973) 78 American Journal of Sociology 1360

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[223] L’analyse mathématique des réseaux réels a généré une littérature considérable dans divers domaines des sciences pures qui est hors de la portée de nos travaux. Par contre, il convient de relater ces constats surprenants, où des réseaux, à priori sans rapport les uns avec les autres, semblent suivre des lois analogues. Comme si, malgré les disparités entre les éléments constituant les divers réseaux étudiés, des dynamiques propres émergent :

« traditional approaches to networks have tended to overlook or oversimplify the relationship between the structural properties of a network system and its behavior. A lot of the recent work on networks, by contrast, takes a dynamical systems view according to which the vertices of a graph represent discrete dynamical entities, with their own rules of behavior, and the edges represent couplings between entities. Thus a network of interacting individuals, for instance, or a computer network in which a virus is spreading, not only has topoligical properties, but has dynamical properties as well. Interacting individuals, for instance, might affect one another’s opinions in reaching some collective decision (voting in a general election, for example), while the outbreak of a computer virus may or may not become an epidemic depending on the patterns of connections between machines. Which outcome occurs, how frequently they occur and with what consequences, are all questions that can only be resolved by thinking jointly about structure and dynamics, and the relationship between the two. » 409

[224] Ainsi, les réseaux réels dynamiques offrent une série d’outils conceptuels essentiels pour appréhender la réalité de systèmes complexes : distance moyenne faible entre les noyaux malgré leur grand nombre; émergence de moyeux ayant un grand nombre de liens; importance de la topographie du réseau pour appréhender sa robustesse. Pour tout dire, il est non seulement primordial de

409 M. E. J. NEWMAN, The structure and dynamics of networks, Princeton, N.J. :, Princeton University Press, 2006 , p. 7

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comprendre les concepts de réseaux en sociologie et en droit, il faut également creuser jusqu’aux racines mêmes des réseaux, jusqu’aux mathématiques. Il s’en suit la découverte d’une harmonie et d’un potentiel épistémique inégalé que nous désirons creuser ultérieurement.

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Chapitre 2.2 Le réseau et le droit

[225] Si les théories associées aux systèmes sociaux proposent des outils conceptuels robustes mais généraux pour évoquer n’importe quelle topographie sociale, celle du réseau en évoque une spécifique où des noyaux sont interconnectés par des vecteurs dans une multiplicité de liens. À ces deux approches conceptuelles, l’une générale et l’autre spécifique, nous ajoutons celle de l’internormativité qui vient contextualiser la nature et le rôle des liens ou vecteurs dans un système social. Donc, au système social, structure générique, nous introduisons le réseau comme morphologie particulière sociale et identifions l’internormtivité contractuelle comme conceptualisation possible des liens unissant les éléments des réseaux.

[226] Ost et Van de Kerchove410 théorisent que des systèmes juridiques peuvent osciller entre la morphologie de la pyramide et du réseau. Ainsi,

« Avec le réseau, l’État cesse d’être le foyer unique de la souveraineté (celle-ci ne se déploie pas seulement à d’autres échelles, entre pouvoirs publics infra et supra-étatiques, elle se redistribue entre de puissants pouvoirs privés); la volonté du législateur cesse d’être reçue comme un dogme (on ne l’admet plus que sous conditions, au terme de procédures complexes d’évaluation tant en amont qu’en aval de l’édiction de la loi); les frontières du fait et du droit se brouillent; les pouvoirs interagissent (les juges deviennent co-auteurs de la loi et les subdélégations du pouvoir normatif, en principe interdites, se multiplient); les systèmes juridiques (et plus largement, les systèmes normatifs) s’enchevêtrent; la connaissance du droit, qui revendiquait hier sa pureté méthodologique (monodisciplinarité) se décline aujourd’hui sur le mode de l’interdisciplinarité et résulte plus de

410 FRANÇOIS OST et MICHEL VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau? – Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2002

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l’expérience contextualisée (learning process) que d’axiomes a priori; la justice, enfin, que le modèle pyramidale entendait ramener aux hiérarchies de valeurs fixées dans la loi, s’appréhende aujourd’hui en termes de balances d’intérêt et d’équilibrations de valeurs aussi diverses que variables. » 411

[227] Un système juridique opérant selon le paradigme du réseau est donc gouverné selon des normes négociées entre divers agents sociaux menant à une règlementation d’un système social412. Cette approche amène, selon Chevallier413, un « pragmatisme » qui :

« conduit à infléchir les conditions d’emploi de la technique juridique : tandis que l’espace du droit conventionnel connaît un constant élargissement, les destinataires sont de plus en plus fréquemment associés au processus d’élaboration des normes et des procédés informels d’influence et de persuasion viennent relayer les modes de commandement traditionnels. » 414

[228] Toujours selon Chevallier415, ce pragmatisme juridique s’articule par la contractualisation des rapports entre l’État et les gouvernés par le biais d’une rationalité coopérative et d’une logique de coordination. Il s’inscrit également dans un droit négocié suite à des consultations avec des groupes d’intérêt, voire les citoyens eux-mêmes. Finalement, la norme devient non prescriptive par un droit « doux » ou « flou » ou « mou »416, c’est-à-dire qu’il suggère des recommandations, offre des

411 Id. , p. 14
412 ANTOINE BAILLEUX, «À la recherche des formes du droit : de la pyramide au réseau», (2005) 55 Reviue internationale d’études juridiques 91 , p. 102-4
413 JACQUES CHEVALLIER, L’État post-moderne, 35, coll. «Droit et société», Paris, L.G.D.J., 2008 , p. 137
414 Id. , p. 138
415 Id. , p. 138-46
416 C. THIBIERGE, «Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit», 2003 Revue trimestrielle du droit civil 599

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options ou un partage les responsabilités. Le droit, par le biais de la déconstruction du sens de son texte devient hétéronome417.

[229] Le Conseil d’État de la France418 propose plutôt l’expression «droit souple» pour évoquer ce phénomène.

« [Il] parraît possible de définir le droit souple comme l’ensemble des instruments réunissant trois conditions cumulatives :

– ils ont pour objet de modifier ou d’orienter les comportements de leurs destinataires en suscitant, dans la mesure du possible, leur adhésion ;

– ils ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations pour leurs destinataires ;

– ils présentent, par leur contenu et leur mode d’élaboration, un degré de formalisation et de structuration qui les apparente aux règles de droit. »419

[230] Le Conseil d’État étoffe sa conception du droit souple par une multitude d’exemples. Ainsi, outre le droit international, où le concept de droit souple a déjà pris ses premières racines, le droit administratif l’incorpore pour la gestion des responsabilités ou politiques de l’État avec les organes qui lui sont tributaires, tels les municipalités. Également, il est souvent question du droit souple dans l’appréhension par le législateur de phénomènes technologiques420 ainsi que dans

417 PAUL AMSELEK, «La teneur indécise du droit», 1991 Revue de droit public 1199
418 Le droit souple, Paris, La documentation Fançaise, 2013
419 Id. , p. 61
420 Id. , p. 239-246 (Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de laCommission nationale de l’informatique et des libertés y signe un texte sur la régulation des données personnelles)

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l’inclusion des normes techniques421 ou des codes volontaires422 de communautés.

[231] Nous poursuivons l’articulation de notre cadre conceptuel en abordant l’internormativité contractuelle. Cette théorie permet de solidifier le rôle du contrat en tant que communication dans un système social mais aussi de vecteur dans un réseau de nœuds d’où émergent des normes.

421 Id. , p. 275-290
422 Codes volontaires : guide d’élaboration et d’utilisation, Gouvernement du Canada, 1998 http://www.ic.gc.ca/eic/site/oca-bc.nsf/vwapj/codesvol.pdf/$FILE/codesvol.pdf

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Section 2.2.1 Internormativité contractuelle

[232] Dans son étude du rôle d’une multinationale dans l’économie d’une région du Québec, Jean-Guy Belley a développé une théorisation des relations découlant des interactions entre agents sociaux. Le chercheur propose que :

« la problématique de l’internormativité se ramène pour l’essentiel à l’étude des types de conjonction des normativités ou des modes de combinaisons des éléments légaux, statutaires et contractuels à travers lesquels se réalise la régulation des échanges économiques. » 423

[233] Ainsi, l’internormativité se greffe aux concepts de système et de réseau afin d’offrir une opportunité supplémentaire de lier la transaction économique telle que représentée par le contrat à ces théories sociologiques. La structure même de l’internormativité permet de concevoir avec plus de nuance et de pertinence le rôle des vecteurs ou des liens entre les éléments d’un système social.

[234] Un des objectifs de Belley consiste à théoriser sur le rôle du contrat non seulement dans un système social, mais aussi du point de vue du droit. Ainsi, il propose une typologie orientant la problématique générale de l’analyse de l’internormativité contractuelle :

« En reconnaissant que les contrats ont leurs sphères d’opérations propres, mais entretiennent aussi des rapports d’interaction du fait de l’inclusion des espaces et des temps les uns dans les autres, on est logiquement conduit à distinguer deux ordres différents de problèmes dans la problématique générale de l’internormativité contractuelle. Dans une perspective statique, il s’agit de comprendre et d’expliquer la réalité de chaque type de contrat dans sa sphère propre. L’objectif

423 J.G. BELLEY, préc., note 286, p. 197

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est dans ce cas de rendre compte des manifestations et du contenu obligationnel spécifiques des contrats légal, règlementaire, normalisé, social et moral […]. Dans une perspective dynamique, il s’agira, d’une part, d’étudier les effets d’un type de contrat sur les autres en mettant en évidence des phénomènes de législation, règlementation, normalisation, socialisation et moralisation du contrat. Cette double perspective permet de mesurer à quel point le recours à certains concepts fondamentaux peut s’avérer improductif pour la compréhension adéquate des choses si l’on ne se soucie pas d’en dédogmatiser l’acception courante. » 424

[235] L’internormativité contractuelle propose donc une structure ainsi qu’une méthodologie à suivre pour étudier le phénomène du contrat dans un système social. Les contrats dits légaux « s’exercent en rapport explicite avec deux logiques externes liées à la présence de l’État et de son ordre juridique.425» Pour sa part, le contrat dit règlementaire se conforme plus étroitement à la « légalité interne de l’entreprise » et cherche à harmoniser l’interaction des fournisseurs avec la logique bureaucratique propre de l’entreprise, telle qu’établie par sa mission et son fonctionnement propre426.

[236] Quant à lui, le contrat normalisé systématise les relations contractuelles afin d’articuler de nouvelles opérations de gestion de l’organisation. Par exemple, l’informatisation permet de gérer les relations avec les fournisseurs, pour automatiser le traitement des commandes matérielles. Le contrat normalisé vise les interactions

424 Id. , p.230 425 Id. , p. 205 426 Id. , p. 208

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correspondant à des normes techniques ou des modalités quantifiables427. Puis :

« Le contrat social est celui qui se ressent significativement de l’existence d’une collectivité dont les besoins et les normes sont pris en compte par les contractants. […] Le contrat social se distingue, par ailleurs, du contrat auquel se réfère les doctrines classiques de la science économique et de la science juridique par au moins trois caractéristiques majeures. Premièrement, il définit un projet d’échange économique général, une association multidimensionnelle et de longue durée, plutôt qu’un projet limité à un échange spécifique. Deuxièmement, le rapport contractuel entre les parties se conçoit dans l’asymétrie des statuts et fonctions plutôt que dans l’égalité postulée par la doctrine classique. Troisièmement, les normes du contrat social sont implicites et de contenu indéterminé, la nature et les circonstances de l’association entre les parties sont censées leur dicter intuitivement les obligations à respecter au gré de l’évolution des choses, sans qu’il soit besoin de recouvrir à un tiers pour les déterminer d’autorité ou pour en forcer le respect. »428

[237] Finalement, le contrat moral « participe de la normativité d’une relation établie au fil des années entre deux individus et deux organisations. »429 La confiance et le décorum jouent un rôle de premier plan dans ce contexte.

[238] Belley ajoute que l’internormativité contractuelle permet de combiner les doctrines contractuelles dans des espaces et des moments variés d’un groupe d’agents. Il suffit de voir apparaitre une énonciation commune de volontés ainsi qu’un degré suffisant d’autonomie des parties afin de pouvoir valider cette approche théorique430. Par ailleurs,

427 Id. , p. 210-211
428 Id. , p. 213-214
429 Id. , p. 217
430 Id. , p. 231 « La problématique de l’internormativité contractuelle est donc aussi celle de l’interaction des notions ou doctrines du contrat élaborées à tel ou tel niveau spatial, dans telle ou telle conjoncture temporelle. Le chercheur ne doit pas adopter lui-même une de ces doctrines à l’exclusion des autres. Dans la mesure où

137

Belley note la relativité des concepts de loi, de statut et de contrat à la lumière de l’internormativité contractuelle431.

[239] Nous constatons des similitudes entre les thèses de Belley et l’approche générale de Lon Fuller. Les deux cherchent à ouvrir les études juridiques à l’analyse contractuelle432 en intégrant le rôle de la coutume dans l’activité législative433 ainsi que le contrôle social434. Il devient nécessaire de poser un cadre conceptuel étanche pour introduire le contrat dans l’épistémologie juridique. Le contrat, les agents ainsi que leur contexte social deviennent des thèmes centraux dans l’élaboration d’études juridiques.

[240] L’intérêt de l’internormativité contractuelle est donc de proposer une typologie des relations contractuelles qui découlent naturellement des relations sociales et économiques d’un système donné. Ainsi, cette théorisation s’ajoute à l’analyse systémique, qui propose un cadre général pour décrire un environnement donné ainsi que à l’analyse des réseaux qui offre une typologie flexible pour étudier les relations sociales.

une définition opérationnelle du contrat lui est indispensable, les critères distinctifs de la normativité contractuelle devraient se limiter à des éléments fondamentaux, c’est-à-dire repérables à tous les niveaux d’espace et dans toutes les temporalités. L’autonomie minimale des acteurs et la conception d’un projet de coordination bilatérale m’apparaissent être à cet égard deux indicateurs nécessaires et suffisants. L’échange de consentements individualisés et l’énonciation de promesses explicites sont, au contraire, des critères accessoires, même s’ils peuvent être considérés décisifs dans la doctrine d’un ordre juridique opérant dans un espace-temps donné. »

431 Id. , p. p. 230
432 LON L. FULLER, «Consideration and Form», (1941) 41 Columbia Law Review 799
433 LON L. FULLER, «Human Interaction and the Law», (1969) 14 Am. J. Juris. 1
434 LON L. FULLER, «Law as an Instrument of Social Control and Law as a Facilitation of Human Interaction Essay», (1975) 1975 BYU L.Rev. 89

138

Section 2.2.2 Exemples de règlementation par les réseaux

[241] Dans cette section, nous recenserons les théories de chercheurs qui traitent de cadres juridiques en droit de l’information sans toutefois évoquer directement celui du droit d’auteur. L’objectif est donc d’identifier des domaines analogues où le droit en réseau est employé avec succès afin d’en étudier les ramifications.

[242] Nous débuterons avec une incursion dans le domaine de la gestion des renseignements personnels par l’État dans un contexte d’informatisation galopante des infrastructures et de la prestation de services. Ensuite, nous explorerons le cas des risques informationnels des communications dans les réseaux informatiques. Puis, nous nous attarderons à des communautés de brevets (patent pools). Le lien avec le droit d’auteur, à un certain niveau d’abstraction du moins, est relativement direct. En premier lieu, ces régimes juridiques édictent des mécanismes d’interdiction d’utilisation ou de diffusion d’information. Ensuite, ils regroupent une pluralité d’intervenants ayant des objectifs parfois divergents et un accès inégal à des ressources. Nous espérons pouvoir tirer des leçons de ces approches théoriques puisque ces problèmes juridiques sont similaires à ceux qui nous préoccupent.

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2.2.2.1 Aires de partage et gestion des risques des données personnelles

[243] L’émergence du cyberespace vers la fin du 2e millénaire a amené son lot de tensions. Une génération de chercheurs analyse ces mutations pour réfléchir à de nouvelles manières de les concevoir435. Parmi ces sujets, la protection de la vie privée et des renseignements personnels a suscité plusieurs réflexions concernant les mutations qui sont nécessaires pour que le cadre juridique permette de tirer avantage de l’informatisation des rapports entre l’État et les citoyens, une informatisation des rapports qui est rendue possibles grâce aux réseaux numériques436. L’intérêt de ces changements est donc de bonifier l’offre de service des administrations publiques. Cependant, ces modifications doivent s’effectuer sans toutefois ériger la protection des renseignements personnels en interdiction absolue qui nuirait au partage d’information entre les structures de l’État. Les nouvelles conceptualisations qui découlent de ces travaux offrent de nouvelles avenues pour les problématiques qui nous intéressent.

[244] Parmi ces chercheurs, Pierre Trudel, professeur titulaire au Centre de recherche en droit public (CRDP) de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, a articulé le concept d’aire de partage, qui :

435 PIERRE TRUDEL, Droit du cyberespace, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997
436 PIERRE TRUDEL, Améliorer la protection de la vie privée dans l’administration électronique : pistes afin d’ajuster le droit aux réalités de l’État en réseau, Centre de recherche en droit public; Chaire L.R. Wilson sur le droit des technologies de l’information et du commerce électronique, 2003 http://www.institutions- democratiques.gouv.qc.ca/acces-information/documents/Rapport_Me_Pierre_Trudel.pdf , p. 43

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«35. […] peut être définie comme un environnement d’information dans lequel des données personnelles nécessaires à la délivrance d’un ensemble de services accomplis au bénéfice des citoyens peuvent être rendus disponibles à différentes entités. Ces services ou prestations ont un caractère complémentaire et leur accomplissement nécessite des informations détenues par une pluralité d’entités liées par une entente. La notion fournit un concept adapté aux réalités des réseaux et permet de concevoir les droits et obligations de l’ensemble de partenaires du e-gouvernement.

36. Le concept renvoie à un ensemble de mécanismes balisant la circulation de l’information et en délimitant les usages. Il s’agit d’organiser l’espace au sein duquel les données peuvent circuler. Le cadre qui en découle définit les droits et les responsabilités. Les protections sont conçues de manière à garantir que les données seront effectivement utilisées pour des fins licites, plutôt que pour empêcher leur circulation.

37. Au plan juridique, l’aire de partage est un espace régulé. Au plan technique, c’est un espace normé. Elle permet de situer les protections qui doivent être assurées à l’égard des données personnelles de même que les responsabilités respectives de tous ceux qui se trouvent à en avoir la maîtrise au sein d’un espace en réseau. » 437

[245] À strictement parler, il est question de confiance et de publicité des ententes qui régulent cet espace normatif informationnel. Ainsi, les instances gouvernementales et les organisations de prestation alignent leurs pratiques sur un cadre normatif et règlementaire qui facilite le déploiement de services communs qui dépendent eux-mêmes du partage de renseignements personnels. Technologie et droit se conjuguent donc pour bonifier l’approche de plusieurs intervenants. Le cadre juridique est édicté par des politiques ou des contrats de services à l’intérieur du cadre juridictionnel de ces organisations. Par ailleurs, les technologies modulent et sont développées en lien avec l’articulation du

437 PIERRE TRUDEL, «Renforcer la protection de la vie privée dans l’état en réseau : l’aire de partage de données personnelles», (2004) 110 Revue française d’administration publique 257 , p. 263

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cadre juridique en suivant une évaluation qui correspond aux besoins de communs.

[246] La question de la gestion des risques devient alors un outil primordial dans l’articulation du cadre règlementaire et normatif d’une aire partagée. Vu à la lumière de la question de la gestion des risques dans les communications du Web 2.0, c’est-à-dire dans la sphère des communication des médias sociaux le partage de renseignements personnels prévaut, l’analyse de Trudel précise que :

«In a network, anyone who can impose his or her will has the ability to increase risk for others. Thus, a state can impose responsibilities on people who are within its borders. Such people will then have to manage the risks flowing from those obligations. They will try to ensure that their partners comply with the requirements that they themselves have to meet and with respect to which they can be held accountable. The obligations and risks will be relayed by contract or in other ways.

Regulation of the Internet results from constant temporary balancing of risks and precautions. All stakeholders try to minimize the risk to which they are exposed when they are involved in situations over which they have some effective control. Regulation of Web 2.0 activities has to aim to increase the risks associated with behaviour that puts others in danger, and to reduce the risks to those with prudent conduct. Normativity usually comes into play when it is seen as appropriate to adjust the relative risks borne by participants in an activity.» 438

[247] Similairement, il explique que :

«The Internet can be seen as a world made up of normativity nodes and relays that influence one another. What is at stake is not whether law, technology or selfregulation provides the best protection for privacy. Effective normativity results from dialogue among stakeholders and their ability to relay norms and principles. In order

438 PIERRE TRUDEL, «Web 2.0 Regulation: A Risk Management Process», (2010) 7 Canadian Journal of Law and Technology 51 , p. 59

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to learn which norms govern an environment connected to the Internet, we have to identify the nodes in which they are stated.»439

[248] La leçon principale des théories de professeur Trudel, puisée des aires de partage et de la gestion des risques dans les réseaux, consiste à comprendre la topographie du réseau d’interactions entre les agents afin d’identifier les risques inhérents à chacun. Ces risques deviennent la base selon laquelle nous pouvons esquisser une aire de partage informationnelle. En ce qui nous concerne, il va sans dire que la gestion des risques et les aires de partage se transposent particulièrement bien aux œuvres numériques protégées par le droit d’auteur, surtout dans le contexte où des institutions comme les bibliothèques interviennent directement pour articuler les termes selon lesquels les œuvres sont communiquées à leur communauté. Les relations contractuelles retenues par les bibliothèques auprès des titulaires seraient, en fait, des aires partagées au sens de Trudel, mais pour les droits d’auteurs. S’en suit une gestion des risques qui incombe à tous les intervenants de la chaîne de diffusion. Nous aurons la chance d’approfondir ces idées au cours de la troisième partie de notre thèse.

2.2.2.2 Communauté de brevets

[249] Dans un autre ordre d’idée, nous nous intéressons aux communautés de brevets pour examiner comment les agents peuvent collaborer afin

439 PIERRE TRUDEL, «Privacy Protection on the Internet: Risk Management and Networked Normativity», dans SERGE GUTWIRTH, YVES POULLET, PAUL DE HERT, CÉCILE DE TERWANGNE et SJAAK NOUWT (dir.), Reinventing Data Protection?, Springer Netherlands, 2009, p. 317-334 , p. 331-2

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d’échanger informations, ressources et risques entre des organisations innovatrices. L’objectif, encore ici, est d’identifier des exemples où d’autres institutions ont su employer les théories du droit en réseau pour répondre aux impératifs de la complexification de leur environnement.

[250] Ainsi, nous puisons dans les travaux d’Enrico Bertacchini 440 concernant les initiatives de mise en commun des recherches (research commons initiatives441) dans les champs des biotechnologies, de la biologie et des ressources génétiques où les brevets constituent la forme de propriété intellectuelle privilégiée. Ses travaux retracent les enjeux économiques de ces domaines de pointe où des agents commerciaux, académiques et gouvernementaux collaborent afin de faire avancer la science, mais aussi pour générer des découvertes utiles pour la société, découvertes qui peuvent avoir une valeur économique substantielle. Le chercheur identifie trois groupes de problématiques qui découlent de ces systèmes de recherche complexes. Le premier est la multiplicité des intervenants qui peuvent aboutir à un régime où les coûts de transactions sont prohibitifs, menant à l’anticommune de Heller442. Ensuite, la gouvernance des règles d’accès et de partage d’une connaissance créé en réseau varie d’un groupe à l’autre443. En effet,

440 ENRICO BERTACCHINI, «Contractually-constructed Research Commons: A critical Economic Appraisal», dans JUAN CARLOS DE MARTIN et DE ROSNAY DULONG (dir.), The digital public domain : foundations for an open culture, Cambridge, OpenBook Publishers, 2012, p. 95-110
441 Id. , p. 96

442 Id. , p. 101-103. Voir la Section 1.1.1.1 pour les anticommunes de Heller. 443 Id. , p. 103-106

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« in the last two decades the literature has increasingly acknowledged networks and similar forms of collaborative ties as a governance structure distinct from markets and firms. » 444

[251] Soit que la gouvernance se base sur l’exclusion grâce à des liens forts et formels (contractuels), soit qu’elle suit les principes informels du partage grâce à des liens faibles, ouverts. Les premiers ont tendance à émerger dans les relations entre les corporations et les universités. Les seconds apparaissent dans une sorte de « zone grise » pour contourner les pressions dues à la privatisation du savoir445. Ainsi,

« The analysis of the formal and informal system of exchange highlights how knowledge dissemination and integration in networked environments is still based on exclusionary strategies and strong ties. In the long term, this may create high entry barriers to prospective innovators and researchers or hinder the collective good of shared quality standards that favour cumulative research. In turn, effective and facilitated access to research tools, guaranteed materials and knowledge allows for the comparison of results, validation and replication of scientific findings. Then the question is how the existent governance structure in a networked environment could mitigate these problems? »446

[252] Dans un troisième et dernier temps, Bertacchini447 précise que le changement institutionnel et les moyens de gérer les attentes souffrent de biais cognitifs où ceux qui possèdent ou créent des connaissances ont tendance à mal évaluer leur valeur réelle. Lorsque la connaissance est distribuée, chaque agent peut sous-évaluer sa valeur réelle car il ne considère que la valeur marginale de celle qu’il a en sa possession. Par ailleurs, il se peut que si plusieurs groupes collaborent sur les mêmes

444 Id. , p.104 445 Id. , p. 104 446 Id. , p. 105 447 Id. , p. 106-8

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enjeux de recherche, ces groupes puissent créer des connaissances complémentaires, ce qui déprécie la valeur en raison de la présence de ces substituts. Ainsi, Bertacchini448 ajoute que les effets de la privation découlent d’une réponse systémique à ces biais cognitifs (cognitive biases) des agents du réseau de recherche.

« In this context, literature about institutions and institutional change may be useful to highlight specific dynamics such as adaptive behaviour, collective action problems, path dependency and agents’ complex feedback mechanisms that can lead to the successful adoption of emerging research commons initiatives. » 449

[253] Pour tout dire, Bertacchini se pose deux questions fondamentales qui nous semblent particulièrement judicieuses :

« In the new scenario of proliferating exclusive rights, are agents learning to use their contractual freedom to put forward research projects and innovation activities? Conversely, are there reasons to fear that transaction costs, strategic behaviour and cognitive biases will stifle the opportunities for exchanging and integrating knowledge? »450

[254] Ces interrogations découlent de la problématique socioéconomique issue des réseaux de recherche dans le domaine biomédical, biologique ou génomique où les brevets prévalent. Nous désirons nous les approprier pour articuler les approches méthodologiques que nous désirons employer pour étudier l’émergence de normativités associées au droit d’auteur dans l’environnement économique et social des universités au Canada et, plus particulièrement, au Québec.

448 Id. , p. 107 449 Id. , p. 108 450 Id. , p. 109

146

Conclusion de la deuxième partie: cadre d’analyse socioéconomique

[255] La deuxième partie de cette thèse présente une sélection de théories sociologiques du droit. L’institutionnalisation et l’interaction symbolique proposent une conceptualisation des acteurs, des institutions et des processus sociaux, dont la réification, par lesquels ces éléments guident la société à travers les méandres de son évolution. Luhmann poursuit dans cette veine, introduisant par sa théorisation des systèmes sociaux une profondeur nécessaire pour observer les situations complexes. En effet, la communication entre les éléments d’un système social devient vectrice de complexité et de risque lorsque des perturbations introduisent des éléments nouveaux. Comme Luhmann le précise, gérer les risques et la complexité est le rôle de ces systèmes sociaux. Au sein de ceux-ci, les agents réagissent au risque en opérant des communications avec les éléments du système social, générant ainsi une structure dynamique grâce à l’autopoïèse. Un système peut ainsi réifier son organisation. Le droit serait un système social fermé, qui codifie de « légale » ou « d’illégale » les communications qui lui sont adressées. La conceptualisation luhménienne a grandement inspiré nos réflexions.

[256] La théorie cybernétique enrichie les théories de Luhmann par les nuances qu’elle apporte quant au rôle de la communication dans un

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système social. Spécifiquement, le rôle de la rétroaction dans la théorie cybernétique s’ajoute à l’autopoïèse de Luhmann afin de bâtir un modèle plus pertinent de l’émergence en droit. Cela va de même pour les réseaux : à la morphologie sociale générale des systèmes sociaux s’ajoute la théorisation des réseaux de Castells ainsi que divers moyens de les quantifier grâce aux théories mathématiques appliquées. Des agents, agissant en réseau au sens de Castells, peuvent bâtir des relations de force pour répondre à des pressions au sein de leur environnement. Le pouvoir devient donc une mesure potentielle de la connectivité de divers acteurs, organisations et institutions qui agissent par des forces dont les dynamiques se conceptualisent par une croissance naturelle et une connectivité liée à l’état précédent des noyaux d’un réseau.

[257] De la complexité ou du risque, Luhmann observe l’autopoïèse; Weiner-Shannon, la rétroaction; Castells et les théoriciens quantitatifs des réseaux, une connectivité dynamique et dirigée. Belley, quant à lui, offre une théorisation juridique des mêmes phénomènes, celle de l’internormativité contractuelle. Son ontologie des contrats permet de nuancer les théories sociologiques grâce à une typologie des relations dans un système social. L’exemple des aires partagées ainsi que des communautés de brevets illustre comment notre sélection de théories sociologiques du droit amène une contribution nouvelle à la science du

148

droit en démontrant comment le droit émerge des interactions sociales. En fait, nous préférons le terme neutre « émergence » afin d’englober toutes les conceptualisations évoquées dans cette partie de thèse ainsi que les dynamiques de formation de marchés de la première partie.

[258] D’ailleurs, les théories de l’émergence bonifient l’analyse économique du droit présentée dans la première partie. En particulier, nous notons avec intérêt la distinction entre les concepts « acteurs » et « agents » présents, respectivement, en sociologie et en économie. De plus, le concept d’institution revêt une signification légèrement différente dans les deux disciplines. D’un côté, les concepts d’autorité et de coordination les unissent. De l’autre, la conceptualisation de la finalité recherchée les distingue : l’économie favorise les marchés, la sociologie vise plutôt l’interaction. Peut-être que, justement, le droit devient le point d’ancrage entre la sociologie et l’économie, offrant l’opportunité de focaliser les concepts qui les sous-tendent pour introduire une harmonisation théorique.

[259] Par exemple, Luhmann par sa théorie cybernétique propose une issue au paradoxe quantique. Si le sous-système du droit impose une codification fermée (« légale » ou « illégale ») aux communications qui lui sont adressées, alors il serait possible de théoriser l’émergence de sous-systèmes sociaux qui modifient les informations d’une communication avant que celle-ci n’atteigne le sous-système du droit.

149

Nous proposons, dans la troisième partie de notre thèse, que les bibliothèques agissent en ce sens par le double effet des exceptions au droit d’auteur et de leurs budgets d’acquisition documentaire. Spécifiquement, les bibliothèques se positionnent en aval de la chaîne qui lie une créatrice à une utilisatrice d’œuvres protégées par le droit d’auteur. L’œuvre doit traverser des mécanismes économiques et sociaux avant de pouvoir être utilisée. Les bibliothèques ont un rôle émergent qui consiste à analyser les facteurs pertinents lors de l’élaboration d’une communication, avant que celle-ci ne soit adressée au sous-système juridique du droit d’auteur. L’information de cette communication dépend de facteurs socioéconomiques de l’œuvre ainsi que du contexte précis de son utilisation. Il semble que, plus on se rapproche du créateur, plus les droits patrimoniaux sont forts. À l’inverse, plus on se rapproche du consommateur, plus les caractéristiques de bien public priment. Elles agissent à titre d’institutions, au sens sociologique, qui coordonnent et portent l’autorité de certaines communications acheminées au sous-système juridique du droit d’auteur grâce à leur action concertée.

[260] Pour ce qui est du continuum du consentement, cet axiome impose également une réification au rôle des bibliothèques. Il peut subsister, pour une œuvre donnée, plusieurs statuts juridiques possibles selon le contexte de son utilisation. Par exemple, une copie peut s’opérer

150

légalement en vertu d’une cession, d’une licence, d’une limitation, d’une exception… L’œuvre qui en résulte, qu’elle soit numérique ou non, revêt des caractéristiques différentes selon le contexte de son utilisation et de son appropriation éventuelle par autrui. Nous démontrons, dans la troisième partie, l’importance grandissante qu’ont les métadonnées – les informations propres à une œuvre en tant qu’instance – dans l’univers numérique. Encore ici, les bibliothèques agissent en tant qu’institutions au sens sociologique, afin de coordonner et de communiquer autoritairement le statut précis d’une œuvre au sens juridique.

[261] À la lumière de ces réflexions, nous désirons élaborer puis opérationnaliser notre cadre d’analyse. Pour le faire, nous nous inspirons des travaux de Leibniz (1646-1716), qui fut, selon Bertrand Russell :

« one of the supreme intellects of all time, but as a human being he was not admirable. He had, it is true, the virtues that one would wish to find mentioned in a testimonial to a prospective employee: he was industrious, frugal, temperate, and financially honest. But he was wholly destitute of those higher philosophic virtues that are so notable in Spinoza. His best thought was not such as would win him popularity, and he left his records of it unpublished in his desk. What he published was designed to win the approbation of princes and princesses. The consequence is that there are two systems of philosophy which may be regarded as representing Leibniz: one, which he proclaimed, was optimistic, orthodox, fantastic, and shallow; the other, which has been slowly unearthed from his manuscripts by fairly recent editors, was profound, coherent, largely Spinozistic, and amazingly logical. »451

451 BERTRAND RUSSELL, History of Western philosophy, London :, Taylor & Francis e-Library, 2004 , p. 531 151

[262] D’ailleurs, Leibniz était, juriste et bibliothécaire,452 et traita des conditions453 pour devenir bachelier et des cas perplexes454 lors de ses études doctorales en droit.

« Il goûta alors aux les plaisirs d’un univers scholastique proposant des concepts et des méthodes capables de combiner le détail jurisprudentiel et l’abstraction logique, autrement dit, capables de conférer un caractère déductif aux décisions de justice. On comprend ainsi que la réussite exceptionnelle de son œuvre mathématique ne l’ait pas conduit à délaisser les travaux juridiques, mais seulement à en différencier l’exécution et qu’il ait multiplié les fonctions de conseiller en justice en ayant toujours pour objectif la rationalisation des systèmes législatifs et judiciaires. »455

[263] De Leibniz, nous retenons en particulier son approche combinatoire456 qui, selon ses traducteurs :

« The Dissertatio de arte combinatoria, which Leibniz published in 1666, was an expansion of the dissertation and theses submitted for disputation the same year to qualify for a position in the philosophical faculty at Leipzig. The work contains the germ of the plan for a universal characteristic and logical calculus, which was to occupy his thinking for the rest of his life. That project is here conceived as a problem in the arithmetical combination of simple into complex concepts, Leibniz deriving basic theorems on permutation and combinations and applying them to the classification of cases in logic, law, theology, and other fields of thought. Hi later judgment on the work was that in spite of its immaturity and its defects, especially in mathematics, its basic purpose was sound. »457

[264] Ainsi, Leibniz se positionne à la jonction des mathématiques et du droit et nous nous en inspirons pour synthétiser notre approche. En fait,

452 MARIA ROSA ANTOGNAZZA, Leibniz : an intellectual biography, Cambridge; New York, Cambridge University Press, 2009
453 GOTTFRIED WILHELM LEIBNIZ et POL BOUCHER, Des conditions De conditionibus, Paris, J. Vrin, 2002 454 GOTTFRIED WILHELM LEIBNIZ et POL BOUCHER, Des cas perplexes en droit De casibus perplexis in jure, Paris, J. Vrin, 2009

455 Id. p. 11-12 (dans les propos introductifs de Boucher)
456 GOTTFRIED WILHELM LEIBNIZ, «Dissertation on the Art of Combinations», dans LEROY E. LOEMKER (dir.), Philosophical papers and letters, Dordrecht, Holland; Boston, Springer, 1976, p. 73-84
457 Id. , p. 73

152

nous proposons le cadre d’analyse socioéconomique (CASE) que nous appliquons au droit d’auteur. Dans ce cadre, nous manipulons les concepts fondamentaux de notre modèle, les œuvres protégées en tant qu’objet de droit et les utilisateurs en tant que sujets de droit, grâce au cadre juridique du droit d’auteur.

[265] D’une part, les objets de droit – les œuvres protégées – se déclinent en fonction des paramètres juridiques qui leurs sont propres. Il convient donc d’identifier des classes d’instances d’œuvres ayant les mêmes propriétés juridiques. Le droit d’auteur édicte déjà une ontologie d’œuvres dans les définitions de l’article 2458 (par exemple: œuvre dramatique, musicale, artistique, etc.), mais notre analyse impose une nuance supplémentaire en fonction du contexte juridique d’un accès à une œuvre. Par exemple, la copie numérique d’une œuvre iconographique d’une collection de bibliothèque peut provenir d’un transfert de format en vertu de l’exception pour la gestion des collections édictée à l’article 30.1459 ou en vertu d’une licence négociée auprès du titulaire légitime. La prestation dudit fichier iconographique par la bibliothèque doit être modulé en fonction du cadre juridique l’affectant. Il en résulte une typologie qui conjugue l’ontologie des œuvres édictée dans la Loi sur le droit d’auteur avec le cadre juridique imposé par le positionnement de l’utilisation sur le continuum du consentement.

458 Loi sur le droit d’auteur, préc., note 1 459 Id.

153

460 Id.

[266] D’autre part, notre analyse du contexte d’utilisation d’une œuvre par les sujets de droit – les utilisateurs d’œuvres protégées – doit suivre la même logique. La complexité introduite par le numérique impose une réification de la compréhension du contexte de l’utilisation de l’œuvre. Ainsi, il convient de bâtir une typologie des utilisations numériques qui se greffe à l’ontologie édictée par la Loi sur le droit d’auteur, notamment les droits patrimoniaux de l’article 3. 460 Dans notre exemple iconographique du précédent paragraphe, il se peut que l’image soit exécutée en public dans une salle de classe ou communiquée au public par télécommunication sur un site Internet public ou privé. Dans le cas des sujets de droits, le contexte d’utilisation découle directement d’une articulation plus fine des droits patrimoniaux exploités selon un contexte précis. Il convient donc de positionner les utilisations visées en fonction du cadre juridique qui en découle.

[267] Le cadre d’analyse socioéconomique en droit d’auteur s’articule donc à l’intersection d’une typologie du cadre juridique de l’œuvre ainsi que du cadre juridique de l’utilisation. Il est utile de représenter cette interaction par une matrice où sont listées, d’une part, chaque instance de la typologie des œuvres et de l’autre, chaque instance de la typologie des utilisations. Il en résulte un tableau où chaque cellule représente un moment précis où une classe d’utilisateurs homogènes (en vertu de leur

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cadre juridique) désire avoir recours à une classe d’œuvres homogènes (en vertu également de leur cadre juridique). Pour chaque cellule de la matrice, il convient de déterminer quel est le moyen, parmi ceux proposés par le continuum du consentement, par lequel une bibliothèque désire servir sa communauté par ses collections.

[268] Dans l’exemple iconographique des derniers paragraphes, la matrice œuvre-utilisation découlant du cadre d’analyse socioéconomique en droit d’auteur se présente par un tableau de deux lignes et trois colonnes, où les lignes sont les classes homogènes d’œuvres (images transférées en vertu de l’art. 30.1; images obtenues sous licence) et où les colonnes sont les classes homogènes d’utilisations (exécuter en public dans une salle de classe en milieu scolaire; communiquer par télécommunication sur Internet sur un site public; communiquer par télécommunication sur Internet sur un site privé). Pour chacune des six jonctions œuvre-utilisation, il convient de déterminer par quel moyen proposé dans le continuum du consentement une communauté désire agir (par exemple : de négocier avec les titulaires pour des droits additionnels dans la licence; de limiter la qualité – ou résolution – de l’image; d’invoquer l’utilisation équitable). Il est également utile de réfléchir au paradoxe quantique afin de mieux comprendre par exemple, la nature de l’œuvre et l’impact de son utilisation sur celle-ci, à la lumière

155

du jugement CCH.461 De plus, le cadre d’analyse socioéconomique, en général, et la matrice œuvre-utilisations, en particulier, introduisent la possibilité d’articuler d’autres facteurs déterminants dans l’analyse d’une situation, telles que les ressources monétaires, la capacité à anticiper le risque juridique du choix ou l’opportunité de procéder à une transaction.

[269] La matrice œuvres-utilisations construite à partir du cadre d’analyse socioéconomique en droit d’auteur est un outil pour analyser la complexité qui découle du numérique afin de favoriser l’émergence d’un nouvel ordre ou système juridique. Cette approche situe l’analyse à un moment précis et nuance les ontologies édictées par le droit d’auteur selon la perspective des cadres juridiques affectant des classes homogènes d’œuvres et d’utilisateurs. De plus, elle permet de réifier le rôle des bibliothèques dans le sous-système juridique. Tous ces facteurs font de la matrice œuvre-utilisation un outil important pour les bibliothèques qui désirent entreprendre des projets d’envergure462 pour le numérique.

[270] Pour tout dire, les mécanismes de formation de marchés inhérents au paradoxe quantique et au continuum du consentement se nourrissent de l’autopoïèse, de la rétroaction, des réseaux d’acteurs, et de

461 CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, préc., note 188, surtout aux para. 51 et suivants où sont précisés les 6 facteurs d’une utilisation équitable
462 Nous avons testé la matrice œuvres-utilisations avec des collègues du milieu québécois des bibliothèques scolaires : RAPHAELLA DIXON, MARIE-EVE GUIBORD, MARIE HÉLÈNE LABORY, OLIVIER MÉNARD, SOPHIE MORISSETTE, ÉLISE STE-MARIE et OLIVIER CHARBONNEAU, Foire au question sur le droit d’auteur, Association pour la promotion des services documentaires en milieu scolaire, 2014 http://apsds.org/?p=7121

156

l’internormativité. Tous pointent vers l’émergence de normes dans l’univers numérique, surtout en ce qui concerne les bibliothèques. Le cadre d’analyse socioéconomique est l’outil que nous proposons afin de réifier une situation à première vue complexe, qui découle de l’utilisation d’une œuvre numérique protégée par le droit d’auteur par un groupe d’utilisateurs. Dans le contexte précis des œuvres numériques protégées par le droit d’auteur, le cadre d’analyse socioéconomique s’opérationnalise par une matrice bâtie par l’intersection de classes homogènes d’œuvres et d’utilisations nuancées à partir des ontologies édictées par le droit d’auteur et enrichie par une analyse des cadres juridiques découlant du contexte. La matrice œuvres-utilisations est un outil pour organiser un chantier qui mène à l’émergence de normes dans les systèmes économiques et sociaux d’œuvres numériques protégées par le droit d’auteur.

LLD

Continuum du consentement™

La loi sur le droit d’auteur édicte divers moyens distincts pour utiliser légitimement une oeuvre numérique au risque variable pour l’utilisatrice (dont le consentement ou l’exception au droit). Lorsque nous les ordonnons ces « moyens » ou « institutions » je propose le continuum du consentement à la page 87 de ma thèse, dont le tableau synthèse est disponible ici:

Voici la source de mon inspiration pour ce que j’appelle le « continuum du consentement™ » dans ma thèse doctorale, où je classe les « moyens » ou « institutions » édictées par les divers régimes juridiques pour poser une action en fonction du risque généré.

 

Hohfeld, W. (1913). Some Fundamental Legal Conceptions as Applied in Judicial Reasoning. The Yale Law Journal, 23(1), 16-59. doi:10.2307/785533

LLD

Ah oui, ma thèse !

J’ai l’énorme plaisir d’annoncer que ma thèse doctorale est (enfin!) disponible pour téléchargement dans le dépôt institutionnel de l’Université de Montréal. Outre la collation des grades, cette diffusion marque « officiellement » la fin de mon périple doctoral…

Titre: Émergence de normes dans les systèmes économiques et sociaux d’oeuvres numériques protégées par droit d’auteur
Permalien: http://hdl.handle.net/1866/19977
Type: thèse doctorale
Octroi du grade: 2018-03-22

 

Résumé
Pris dans le maelström des révolutions technologiques, de la mondialisation et des revendications de divers groupes sociaux, le droit d’auteur édicte tant bien que mal les dispositions qui règlementent les systèmes économiques et sociaux où transitent les oeuvres protégées. Notre thèse a comme objectif principal de repérer les normes qui émergent des pratiques de développement des collections numériques par les bibliothèques. Un but accessoire consiste à théoriser sur la « frontière » qui sépare le recours aux licences et le recours aux exceptions du droit d’auteur, tel que l’utilisation équitable. Nous articulons notre cadre conceptuel et analytique autour de la perspective des utilisateurs d’oeuvres numériques protégées par le droit d’auteur. La première partie de notre thèse traite de notre objet d’étude : l’oeuvre numérique protégée par droit d’auteur. Nous employons l’analyse économique du droit pour articuler deux axiomes intrinsèquement liés à la nature de l’oeuvre. D’une part, l’oeuvre oscille naturellement entre la nature économique d’un droit de propriété, un bien privé, et la conception utilitariste qui se comprend mieux par les biens publics. Nous nommons cette réalité le paradoxe quantique de l’oeuvre. De l’autre, l’oeuvre change d’un état à l’autre grâce à une multitude d’institutions ou moyens édictés par le droit d’auteur, par exemple : les concessions, les limitations et les exceptions. Si nous ordonnons ces dispositions sur une droite formée par le niveau de risque engendré par chaque utilisation, nous obtenons ce que nous nommons le continuum du consentement, où le risque est inversement proportionnel au consentement du titulaire. La seconde partie de cette thèse considère les sujets de droit : les agents des systèmes sociaux qui utilisent des oeuvres numériques protégées par le droit d’auteur. Nous étoffons notre cadre conceptuel autour des théories sociologiques du droit, afin d’articuler comment les systèmes sociaux peuvent générer des normes. Pour ce faire, nous puisons dans les nouvelles théories du droit en réseau, de la gestion des risques et de l’internormativité contractuelle. Nous proposons un cadre d’analyse socioéconomique, où se juxtaposent les objets de droit et les sujets de droit. Nous opérationnalisons ce cadre en combinant les éléments de notre modèle dans une matrice oeuvres-utilisateurs où chaque cellule constitue un cadre juridique précis. La troisième et dernière partie de notre thèse concerne le cadre juridique qui émerge d’un système social particulier, celui des bibliothèques universitaires agissant en réseau grâce à des consortiums d’acquisition. Nous employons les développements récents en mécanisation et informatisation des rapports contractuels pour analyser le contenu normatif d’une classe de licences d’accès à des oeuvres numériques protégées par droit d’auteur. Les métadonnées représentent le contenu normatif desdites licences et les données d’instances offrent l’occasion d’effectuer des analyses statistiques pour confirmer l’émergence de normes. Nous concluons que les activités qui mènent à la formation d’ententes d’accès au sein des bibliothèques universitaires au Québec permettent l’émergence de normes dans les systèmes socioéconomiques des oeuvres numériques protégées par le droit d’auteur. Par ailleurs, nous confirmons que ces ententes portent sur des utilisations visées par plusieurs régimes juridiques édictant des exceptions aux droits d’auteur. Nous croyons qu’il s’agit d’un exemple où les institutions emploient des moyens économiques et sociaux pour dépasser le simple cadre juridique édicté par le droit d’auteur et qui vise l’établissement d’un ordre basé sur un contrat social lié à la mission des bibliothèques.

Caught in the perfect storm formed by technological revolutions, globalization and lobbying by special interest groups, copyright governs the economic and the social systems of protected works. The main objective of this doctoral dissertation is to survey the norms, which emerge from the digital markets and social systems where libraries are present. A secondary goal entails theorizing the « border » between licensing and exceptions to copyright, namely fair dealings. Our conceptual framework is centered on users and uses of protected works. The first part of our dissertation deals with our object of study: digital copyrighted works. We use Law and Economics (also called economic analysis of law) to articulate two axioms inherent to the economic nature of digital protected works. On the one hand, the economic nature of a digital protected work shifts from a public good to a private good. We call this reality the quantum theory of the digital protected work. On the other hand, a digital work shifts from one state to the other by following a series of means set out in copyright legislature. These include assignments, licenses, limitations, exceptions and violations. Ordering these by the amount of risk generated by social use, we posit that they form a consent continuum, where the risk is inversely proportional to the consent of the rightholder. The second part of our thesis explores parties to the legal system: social agents using digital copyrighted works. We add to our conceptual framework sociological theories of law in order to determine how social systems may generate their own legal systems. We use new social theories of law, such as network law, risk management and contractual internormativity. We posit a socio-economic analytical framework bound by our objects of study, copyrighted works, and social agents. We form a work-user matrix, whereby homogenous groups of copyrighted works and users are combined in a series of cells defined by their legal framework. The third and final part deals with the legal framework which emerges from a particular social system, that of academic libraries acting in unison through consortia. We base our analysis on the mechanisation and computerization of private ordering to analyse the normative content of a class of access licences to digital copyrighted works. The licensing metadata represents the normative content and the licence data allows us to observe the emergence of norms. We conclude that the activities which lead to the private ordering of access rules in academic libraries in Québec allow for the emergence of norms in the economic and social systems of digital copyrighted works. In addition, we confirm that licensing occurs despite the myriad of exceptions to copyright recently enacted by the legislator. We believe that this is a case where institutions practice reflects the social contract of libraries and transcends the direct order established by law.

LLD

Quelques mots sur la théorie cybernétique

J’avais souvenir d’avoir résumé la théorie cybernétique dans un contexte juridique mais je ne me souvenais pas dans quel endroit. Non, ce n’est pas sur ce blogue (ou mes autres blogues). Non, ce n’est pas dans un courriel sur une liste de diffusion ou à un.e collègue. Non plus dans une conférence… mais où? Après un gros 5 minutes de recherches frénétiques (c’est long chercher quelque chose 5 minutes pour un bibliothécaire), c’est l’épiphanie: Ah oui, dans ma thèse!! (D’ailleurs, je viens de vérifier, elle n’est pas encore diffusée sur le site de Papyrus de l’Université de Montréal…)

 

Voici un copier-coller éhonté de cette section de thèse (titre numéro 2.1.2.2) sur la théorie cybernétique. Je la présente dans la partie 2 de ma thèse, qui traite des théories de la sociologie du droit. Alors, lorsque je parle de la théorie cybernétique ou des théories de Shannon-Weiner se l’information ou de la cybernétique, voici ce que je veux dire :

2.1.2.2  Entropie, information, rétroaction

Il serait impossible de passer sous silence les recherches de Norbert Weiner et surtout sa théorie cybernétique dans une section traitant des systèmes sociaux. En effet, nous proposons ici un sommaire des postulats de cette théorie puis nous identifierons certains intellectuels qui s’en sont inspirés. Comme nous le verrons dans quelques instants, Luhmann fut l’un deux – d’où l’intérêt de ce survol conceptuel, afin de mettre en relief les origines intellectuelles du systémisme luhmannien.

Les penseurs cybernéticiens ont suivi une trajectoire asymptotique influencée par la complexification sociale suite à la Seconde Guerre mondiale. Comme le note Wiener lui-même :

« The notion of the amount of information attaches itself very naturally to a classical notion in statistical mechanics : that of enthropy. Just as the amount of information in a system is a measure of its degree of organisation, so the enthropy of a system is a measure of its degree of disorganisation; and the one is simply the negative of the other. This point of view leads us to a number of considerations concerning the second law of thermodynamics […] We have decided to call the entire field of control and communication theory, whether in the machine or in the animal, by the name Cybernetics » [1]

En parallèle aux travaux de Wiener, il est important de souligner l’apport de Claude Shannon[2]. En effet, ces deux chercheurs ont tous deux travaillé au sein de groupes indépendants où le secret était de mise durant la Deuxième Guerre mondiale : Shannon au décodage de communications de l’ennemi et Weinerà l’optimisation de la balistique. Justement, Gleick[3] précise que Shannon expose l’information comme étant un choix effectué parmi l’ensemble de tous les messages possibles, messages dont le sens n’est pas important. Ce qui compte, c’est la probabilité qu’un message soit choisi parmi l’ensemble de tous les messages possibles. Plus il y a de choix (donc d’incertitudes dans la sélection d’un message précis), plus il y a d’informations et plus il y a entropie. En ce qui concerne l’entropie, Weiner précise que :

 « we are immersed in a life in which the world as a whole obeys the second law of thermodynamics : confusion increases and order decreases.  » [4]

Même si ces chercheurs ont travaillé indépendamment, l’expression «théorie Shannon-Wiever de l’information»[5] se retrouve dans de nombreux textes.

En plus des notions d’entropie et d’information, Wiener précise que la rétroaction constitue la différence entre ce qui est voulu et ce qui est obtenu[6] ou « the property of being able to adjust future conduct by past performance. »[7] Par ailleurs, Wiener tire son inspiration des travaux de Leibniz, qu’il qualifie de « saint patron » de la cybernétique[8].

Céline Lafontaine offre une exploration en profondeur de l’impact de Weiner et de la théorie cybernétique sur divers penseurs des sciences humaines. En effet, cette professeure en sociologie a déposé une thèse doctorale[9] sur le sujet, ainsi qu’un livre[10]. Lafontaine précise que la cybernétique de Wiener se présente :

« comme une science dédiée à la recherche des lois générales de la communication et à leurs applications techniques, la cybernétique a donné lieu à un nombre incalculable de définitions, tantôt axées sur des concepts théoriques, tantôt tournées vers son pragmatisme technologique. L’absence de consensus se dégageant des Congrès internationaux de Namur s’explique, en partie, par le foisonnement des approches épistémologiques et des tendances idéologiques qui s’y ont côtoyées. La force d’attraction conceptuelle exercée par la nouvelle science était alors telle qu’elle a pu dépasser les plus rigides antagonismes politiques. Au paroxysme de la Guerre froide, des scientifiques des deux côtés du Rideau de fer ont partagé l’enthousiasme suscité par ses découvertes. Situation plus ou moins paradoxale lorsqu’on se souvient du contexte militaire au sein duquel est née la cybernétique. Il faut croire que le projet de fabriquer des machines intelligentes et d’organiser la société en fonction des principes de base de l’automation transcendait les clivages idéologiques… »[11]

Lafontaine[12] ajoute que l’entropie se situe au cœur de l’édifice théorique de la cybernétique et en constitue ni plus ni moins qu’une vérité métaphysique. Elle utilise cette citation de Philippe Breton pour l’expliquer :

« Tout système isolé tend vers un état de désordre maximal, ou vers la plus grande homogénéité possible, par le ralentissement puis l’arrêt des échanges en son sein. » [13]

Lafontaine poursuit en indiquant que :

« L’information est un principe physique quantifiable dont on peut mesurer l’efficacité dans un système donné. Le langage binaire permet, sur une base probabiliste, de réduire l’incertitude liée à la transmission d’un message. La nature de ce dernier n’a strictement pas d’importance. […] Reliée au second principe de la thermodynamique, l’information est un facteur d’ordre permettant le contrôle par quantification. On retrouve là les postulats de base de l’informtique. » [14]

Étroitement lié au concept d’information, la rétroaction :

« désigne le processus par lequel celle-ci est assimilée et utilisée afn d’orienter et contrôler l’action. Même si le principe de rétroaction n’est pas une découverte en soi – les Grecs le connaissaient –, Wiener va lui accorder une valeur toute particulière. […] La faculté d’orienter et de réguler ses actions d’après les buts visés et les informations reçues correspond en fait à la définition cybernétique de l’intelligence. C’est elle qui permet le rapprochement entre l’être et la machine. Possédant potentiellement les mêmes capacités d’apprentissage, les machines intelligentes participent au maintient de l’ordre social en assurant son autorégulation rétroactive. » [15]

Puis,

« Devenue un immense système de communication, [la société] n’existe qu’à travers les échanges informationnels entre ses membres. Constamment interrelié à son environnement social, le sujet est, dans cette logique, entièrement tourné vers l’extérieur. […] Discriminant majeur, le principe de rétroaction autorise Wiener à classer les machines intelligentes aux côtés de l’humain au sommet de la hyérarchie cybernétique. Cette valeur octroyée aux « machines intelligentes » prend tout son sens lorsqu’on la resitue dans le cadre du triomphalisme technoscientifique de l’après-guerre.  » [16]

Lafontaine poursuit son exploration du cybernétisme en répertoriant les intellectuels de renom qui ont directement participé aux travaux de Weiner. Un de ceux-ci est Bateson qui puise dans la rétroaction pour élaborer sa théorie de la métacommunication[17], qui mènera à l’école de Palo Alto. Lafontaine démontre comment ces chercheurs ont introduit les théories cybernétiques dans le programme général de santé mentale[18]. Lafontaine précise que la cybernétique a rapidement influencé des intellectuels d’outre-Atlantique :

« C’est par l’entremise du structuralisme qu’elle s’enracinera de manière durable dans la pensée européenne. Encore trop ignorée, cette influance du modèle informationnel sur la pensée française explique en partie la très grande popularité aux États-Unis des Lévi-Strauss, Lacan, Foucault, Deleuze et Derrida. » [19]

Depuis le structuralisme d’après guerre, Lafontaine note l’influence du systémisme sur les intellectuels des années 1970: « Ceci transparait clairement dans l’appellation « seconde cybernétique » par laquelle on désigne souvent les théories de l’auto-organisation.  »[20] Ainsi, Bertalanffy[21], Laszlo[22], Hayek[23], Parsons[24], pour ne citer qu’eux, récupèrent les principes cybernétiques au sien de leurs postulats. Après Parsons, Lafontaine note que Luhmanna été « le chef de file d’une sociologie proprement systémique »[25] et que le systémisme « reprend en les radicalisant les présupposés de la théorie des systèmes autopoïétiques. »[26]

La théorie cybernétique de Wiener représente donc une base conceptuelle sur laquelle repose les efforts de plusieurs chercheurs, dont Luhmann. En effet, les trois éléments cybernétiques, l’entropie, l’information et la rétroaction, enrichissent la théorie générale des systèmes sociaux de Luhmann en proposant une codification plus nuancée de la communication. La théorie cybernétique illustre clairement comment certaines communications dans un système social peuvent mener à l’émergence dans un système social.

[1] Norbert Wiener, Cybernetics; or, Control and communication in the animal and the machine, 2d ed. –, New York :, M.I.T. Press, 1961 , p. 11

[2] C.E. Shannon et W. Weaver, préc., note 120

[3] James Gleick, The information : a history, a theory, a flood, 1st, New York, Pantheon Books, 2011 , p. 219

[4] Norbert Wiener, The human use of human beings : cybernetics and society, London :, Free Association, 1989 , p. 36

[5] Céline Lafontaine, L’empire cybernétique : des machines à penser à la pensée machine : essai, Paris, Paris : Seuil, 2004 , p.36

[6] N. Wiener, préc., note 353, p. 6 « [feedback] It is enough to say here that when we desire a motion to follow a given pattern the difference between this pattern and the actually preformed motion is used as a new input to cause the part regulated to move in such a way as to bring its motion closer to that given pattern. »

[7] N. Wiener, préc., note 353, p. 33

[8] N. Wiener, préc., note 353, p. 12 « If I were to choose a patron saint for cybernetics out of the history of science, I should have to choose Leibniz. The philosophy of Leibniz centers about two closely related concepts – that of a universal symbolism and that of a calculus of reasonning. From these are descended the mathematical notation and symbolic logic of the present day. Now, just as the calculus of arithmetic lends itself to a mechanization processing through the abacus and the desk computing machine to the ultra-rapid computing machines of the present day, so the calculus ratiocinator of Leibniz contains the germs of the machina ratiocinatrix, the reasoning machine. Indeed, Leibniz himself, like his predecessor Pascal, was interested in the construction of computing machines in the mental. It is therefore not in the least surprising that the same intellectual impulse which has led to the development of mathematical logic has at the same time led to the ideal or actual mechanization of processes of thought. »

[9] Céline Lafontaine, Cybernétique et sciences humaines : aux origines d’une représentation informationnelle du sujet, Université de Montréal, 2001

[10] C. Lafontaine, préc., note 357

[11] Id. , p. 26-7

[12] Id. , p. 41

[13] Philippe Breton, L’Utopie de la communication, Paris, La Découverte, 1995 , p. 32

[14] C. Lafontaine, préc., note 357, p. 45

[15] Id.  289, p. 46

[16] Id. , p. 47-8

[17] Id. , p. 78-80

[18] Id. , p. 86

[19] Id.

[20] Id. , p. 118-9

[21] Id. , p. 119-120

[22] Id. , p. 120-123

[23] Id. , p. 136-7 «  Brièvement, la théorie de Hayek peut se résumer à l’idée que la très grande complexité engendrée par la division du travail et des connaissances annule toute possibilité d’avoir une vision unifiée de la société et donc, par le fait même, de prétendre pouvoir l’orienter politiquement. D’autant plus que, pour Hayek, « l’esprit » n’est qu’une « adaptation à l’environnement naturel et social » qui ne peut, en aucun cas, transcender ses propres conditions de possibilité. » [citation de Hayek, Droit, législation et liberté, t. 1, Paris, PUF, 1980, p. 48]

[24] Id. , p. 132 « L’expression « structuro-fonctionnalisme » par laquelle on désigne généralement son approche ne doit pas masquer la primauté du système dans son modèle de l’action sociale. Le système d’action implique, chez lui, une structure organisationnelle qui permet l’actualisation des fonctions par lesquelles il se maintient et se et se reproduit. Les quatre principales fonctions qu’il identifie (adaptation, poursuite des buts, intégration, latence) confirment à elles seules l’importance qu’il accorde à la notion d’équilibre. À ces quatre fonctions correspondent quatre sous-systèmes (culturel, social, psychique, biologique). Dans l’optique cybernétique, Parsons considère que « le système d’action, comme tout système actif, qu’il soit vivant ou non, est le lieu d’une incessante circulation d’énergies et d’informations. » [citation de Guy Rocher, Talcott Parsons et la sociologie américaine, Paris PUF, p. 74] L’apport de chaque sous-système varie en termes d’énergie et  d’information d’après un principe hiérarchique de contrôle et de régulation. Ce dernier implique une échelle de contrôle allant du système culturel au système social, en passant par le psychisme, pour finalement inclure le système biologique, plus riche en énergie qu’en informations. »

[25] Id. , p. 134

[26] Id. , p. 135

LLD

Texte de ma soutenance doctorale

Mesdames, messieurs,

Membres du jury de thèse,

Avant toute chose, permettez-moi de souligner que les terres qui nous entourent font partie du territoire traditionnel non cédé des Kanien’keha:ka (dénommés également Mohawks), qui a longtemps servi de lieu de rassemblement et d’échange entre les nations. Je remercie de tout mon cœur les anciens de toutes les nations autochtones pour leur bienveillance.

Je me présente humblement devant vous afin de défendre ma thèse doctorale en droit, en vue de l’obtention du grade de Legum Doctor de l’Université de Montréal.

J’ai débuté mon long parcours en droit en 2004 au certificat, en cours du soir, à notre faculté. Nouvellement embauché comme bibliothécaire à l’Université Concordia, je devais bâtir un programme de recherche en sciences de l’information afin d’obtenir ma permanence à titre de membre du syndicat des professeurs.

À cette époque, nourrit par le feu d’une jeunesse qui s’étiole maintenant, je soupçonnais qu’il était urgent de réparer le droit d’auteur pour sauver les bibliothèque d’un destin numérique incertain. En plus d’études en droit, je me suis impliqué dans une panoplie de comités professionnels sur le droit d’auteur au Québec, au Canada et à l’international. J’ai monté des campagnes d’information, écrit des mémoires à diverses instances parlementaires et j’ai participé à d’innombrables réunions, conférences et autres entrevues. Malgré tous ces efforts, je constatais une lacune, un vide théorique en droit et en bibliothéconomie qui limitait une conceptualisation harmonieuse du droit d’auteur numérique et des bibliothèques.

Éclairé maintenant par une sagesse qui s’est focalisée grâce à vous, je constate que le droit d’auteur n’est pas brisé, mais que les bibliothèques permettent l’émergence de nouvelles normativités dans les systèmes économiques et sociaux d’œuvres numériques protégées par le droit d’auteur. Je suis ici pour défendre cette thèse, suite à ce long cheminement personnel et intellectuel.

D’ailleurs, vous pouvez revivre mon parcours depuis 2005 à travers les 2264 billets versés dans mon carnet de recherche qui est maintenant hébergé par le Centre de recherche en droit public, à l’adresse culturelibre.ca. Le texte de ma soutenance y est d’ores et déjà disponible.

D’ailleurs, pour respecter le décorum de cette assemblée et le ton de ma thèse, je vais poursuivre cet exposé à la 1ère personne du pluriel.

Dans notre thèse, nous nous intéressons aux utilisateurs finaux d’œuvres protégées – et surtout – ceux et celles qui utilisent du contenu numérique protégé par droit d’auteur en bibliothèque. De plus, notre étude se situe à un moment où le numérique introduit de sérieuses pressions sur les régimes du droit d’auteur, pressions qui se manifestent par des technologies nouvelles, la mondialisation des marchés et des revendications sociales en lien avec ces mutations. Nos recherches tombent à point nommé vu les divers litiges en lien avec l’utilisation équitable, dont ceux déposés à la Commission du droit d’auteur ces dernières années, certains ayant été portés en appel jusqu’à la Cour suprême. Plus récemment, évoquons rapidement la qualification du recours collectif lancé par Copibec contre l’Université Laval ainsi que le jugement récent contre l’Université York. Il semble que les parties requérantes invoquent le resquillage des bibliothèques et les placent dans le rôle du truand. Est-ce vraiment le cas ?

Il est primordial de saisir l’importance du numérique dans les collections des bibliothèques universitaires québécoises. Tel qu’indiqué à la figure 2 de la page 196, en 2011-2012, les dépenses totales de toutes les bibliothèques affiliées à des universités membres de l’ancienne CRÉPUQ frisent les 70 millions de dollars, dont environ 77% est alloué à des ressources électroniques. La balance, environ 15 millions de dollars, sert à l’achat de documents papiers, qu’ils s’agissent de livres ou de périodiques. En fait, l’année 2006-2007 est la première année où les bibliothèques québécoises ventilent leurs dépenses en fonction du format, numérique ou papier. À ce moment, les dépenses pour le numérique dépassent déjà les montants consacrés aux documents papier. Le numérique s’impose donc dans les pratiques d’acquisition documentaires des bibliothèques universitaires québécoises. La réalité professionnelle des dernières années en est donc une où le numérique prend la part du lion de nos budgets d’acquisition documentaire. Comment réconcilier cette réalité professionnelle avec les litiges passés et présents ?

Dans notre thèse, donc, nous démontrons que les contrats d’accès ou licences à un corpus d’œuvres numériques négociées par des réseaux de bibliothèques auprès des titulaires mènent à l’émergence de nouvelles normes juridiques – les droits d’accès ou droits d’utilisation – ayant trait avec le droit de mise à disposition numérique ou de communication par télécommunication dans les réseaux numériques, un nouveau droit patrimonial introduit par les réformes du gouvernement Harper en 2012. De plus, nous démontrons que les termes de ces licences chevauchent les exceptions édictées par le législateur, qu’il s’agisse de l’utilisation équitable ou des exceptions spécifiques des établissements d’enseignement. En réalité, les bibliothèques ont articulé leur contrat moral, au sens de l’internormativité de Belley, dans des contrats normalisé – où les clauses contractuelles sont représentées dans des systèmes informatiques comme une série de métadonnées. La fonction de ces informations consiste à habiliter les utilisateurs de ces collections numériques à respecter les normes locales édictées par le droit d’auteur. Qui plus est, les exceptions au droit d’auteur, édictées par le législateur canadien, sont également la manifestation du contrat moral des bibliothèques, dans un autre contexte normatif.

La distinction entre les licences numériques et les exceptions au droit d’auteur se comprennent non pas comme une « frontière » (comme nous l’avions proposé comme objectif secondaire de recherche), mais comme un miroir : les unes étant le reflet des autres et opèrent dans deux sphères juridiques distinctes, celles du positivisme et du pluralisme juridique.

Par le fait même, en plus de la théorisation du rôle des bibliothèques dans les systèmes socioéconomiques du droit d’auteur, nous examinons en profondeur l’épistémologie juridique par le biais de l’analyse économique du droit, surtout dans un contexte de droit privé, ainsi que de la sociologie du droit, surtout par le pluralisme juridique. Nous réconcilions ces deux théories juridiques fécondes grâce à un cadre d’analyse novateur.

Dans un premier temps, la doxa économique, dont l’école néoclassique et néolibérale sont les porte-étendards, met l’emphase sur l’analyse des transactions en vue de la maximisation des valeurs produites par les marchés. Cette approche, dont est empreinte l’analyse économique du droit contemporaine, pose comme exogène à la transaction des facteurs qui nous importent, comme le rôle du droit, de la technologie et des pratiques sociales dans la formation des marchés. Cette lacune épistémologique laisse de côté, entre autres, les externalités et les défaillances de marchés comme étant des variables résiduelles à éliminer des beaux modèles économétriques. C’est justement à l’intérieur de ces valeurs résiduelles qu’opèrent la mission sociale des bibliothèques et des questions qui nous animent. Nous avons dû chercher ailleurs pour résoudre cette lacune de la science économique moderne.

Dans un second temps, la sociologie du droit propose justement une image miroir de plusieurs concepts économiques importants. Les marchés deviennent les systèmes sociaux, la cybernétique et les réseaux. La transaction économique évoque l’interaction. Idem pour les agents économiques et les acteurs sociaux; le capital et le pouvoir; la valeur et la légitimité; les institutions; le risque… En droit, l’internormativité de Belley, qui théorise le chevauchement et l’interaction des normes dans un environnement donné, ainsi que les aires de partage et la gestion des risques des données personnelles de Trudel font émerger le point d’encrage dont nous avons besoin, où le droit harmonise l’économie et la sociologie.

Ainsi, nous avons conjugué les éléments de notre modèle théorique, c’est-à-dire comment notre objet d’étude, les droits patrimoniaux des œuvres numériques protégées par le droit d’auteur, se combinent à nos sujets d’étude, les utilisateurs (ou utilisations) de celles-ci dans une pluralité de cadre juridiques, qu’ils soient privés ou publics. Grâce à ce Cadre d’analyse socioéconomique™ ou CASE™, nous opérationnalisons notre cadre théorique dans le contexte précis du droit d’auteur avec la Matrice Œuvres-Utilisations™ ou MŒU™. Cette matrice se présente comme un tableau, où, d’un côté, les lignes représentent toutes les classes homogènes d’œuvres protégées en ce qui concerne leur statut ou état juridique. De l’autre, les colonnes représentent tous les usages homogènes de celles-ci, encore du point de vue juridique. Chacune ces cellules deviennent l’occasion pour une communauté de se positionner face aux paradoxes et instruments juridiques du monde numérique.

Si le CASE est notre contribution originale en droit, alors le MŒU l’est pour la bibliothéconomie. Dans les deux cas, elle s’applique particulièrement bien dans les contextes numériques, où une pluralité d’objets, de sujets et de cadres juridiques se chevauchent, interagissent et éventuellement, se nuisent. Ils s’inscrivent à la frontière du droit public et privé et offre un bagage théorique pertinent en téléologie juridique, utile pour l’interprétation des lois et des situations complexes.

ANECDOTE : Nous avons testé la CASE et la MŒU en 2014 afin de concevoir un document d’information intitulé Foire aux questions pour le droit d’auteur en milieu scolaire suite à un chantier de deux ans sous l’égide de l’Association pour la promotion des services documentaires en milieu scolaire (APSDS). Travaillant avec un comité de bibliothécaires scolaires, nous avons testé la MŒU pour façonner l’appropriation licite et légitime d’œuvres protégées par le droit d’auteur en milieu scolaire.

En outre, ce cadre théorique, opérationnalisé en cadre d’analyse, nous a enfin permit de répondre à nos objectifs de recherche. La matrice œuvres-utilisations est un outil pour organiser un chantier qui permet d’observer l’émergence de normes dans les systèmes économiques et sociaux d’œuvres numériques protégées par le droit d’auteur.

D’ailleurs, la théorie des communs de Hess et Ostrom ainsi que les travaux de Elkin-Koren et Salzberger sur l’école néoinstitutionnelle dans l’analyse économique du droit confirment, à divers égards, l’intérêt d’harmoniser l’économie et la sociologie par le droit grâce à un cadre théorique et opératoire novateur. Nous appliquons la matrice œuvre-utilisation à un contexte précis, celui des pratiques contractuelles des bibliothèques universitaires québécoises dans l’acquisition de contenu numérique pour leurs collections. (Souvenez-vous de l’importance du numérique dans la constitution de nos collections – le numérique représente les trois quarts de nos budgets.) Plus précisément, nous explorons le cadre juridique d’une classe homogène d’œuvres, les écrits numériques obtenus sous licence par les bibliothèques universitaires au Québec, dans un contexte homogène d’utilisation, celui de la recherche, l’étude et l’enseignement.

Pour ce faire, nous nous basons sur le travail de dépouillement des clauses contractuelles par les bibliothécaires universitaires. En effet, les professionnels de l’information ont coordonné leurs efforts depuis les vingt dernières années pour établir les clauses dirimantes ou les clauses souhaitées aux licences. Ensuite, ils ont bâti des systèmes informatiques pour représenter le contenu de ces licences et faciliter la gestion des services pour la communauté. Certains gabarits de données de licences se sont imposés, dont celui développé par les bibliothèques universitaires en Ontario. Ce schéma de métadonnées se présente comme onze questions dont les réponses ne peuvent être que « oui, » « non, » ou « demander. » Dans ce dernier cas, la licence exige des modalités plus complexe que le simple contexte de la question. Ainsi, une utilisatrice de la collection numérique sous licence peut aisément savoir si elle peut verser un document dans un environnement numérique d’apprentissage, le faire suivre par courriel ou se limiter à utiliser un lien vers ledit document. Un exemple d’une instance de licence est fourni aux Figures 3 et 4 de la page 208.

Afin d’étudier l’émergence de normes, nous avons fait suivre des demandes d’accès à l’information à tous les établissements d’enseignement supérieur du Québec leur demandant de nous faire parvenir toutes les instances correspondant à ce schéma de métadonnées. Nous avons obtenu 761 lignes de données – pour autant de licences – de la part de 5 Universités. Le détail se trouve au Tableau 2 de la page 221. Dans un premier temps, nous avons constaté que les licences négociées en consortium représentent moins de variabilité que celles négociées individuellement. Ainsi, les trois combinaisons de clauses contractuelles les plus populaires regroupent plus de la moitié de toutes les instances de licences négociées en consortium tandis que les trois combinaisons les plus populaires des licences négociées individuellement n’en compte que le tiers. Par ailleurs, il existe 29 combinaisons pour les licences en consortium tandis que celles négociées individuellement offrent 87 permutations. Sans tomber dans une avalanche de statistiques comparatives, nous sommes confiants que le recensement des clauses de ces licences offre une feuille de route pour faciliter la tâche aux titulaires désirant offrir leurs corpus aux bibliothèques universitaires.

Grâce à cette étude, nous tirons trois conclusion.
La première démontre l’importance des métadonnées juridiques dans l’automatisation et l’informatisation des rapports socioéconomiques. En quelque sorte, la représentation du contenu normatif des licences projette et rend accessible avec minutie le cadre juridique applicable dans une situation particulière lorsqu’un individu accède à un document. La création de schéma de métadonnées, le dépouillement de licences et la diffusion des données imposent une institutionnalisation et une instrumentalisation qui est transposable à tant d’autres domaines.

La seconde conclusion confirme la symbiose entre une œuvre numérique et son droit d’utilisation: l’un n’a pas de valeur sans l’autre. Dit autrement, il est clair, suite à notre étude, que tous les documents numériques acquis par une bibliothèque le sont sous licence, où sont précisés les droits d’utilisation. Ainsi, la valeur d’un corpus numérique est directement liée à la présence de documents et de droits. Ce constat laisse songeur quant au rôle de la gestion collective lorsqu’une proportion grandissante des collections des bibliothèques universitaires sont en format numérique, donc sous licence et avec des droits d’accès.

La troisième conclusion concerne le rôle des exceptions dans le contexte des licences. Les exceptions et licences numériques découlent toutes deux du contrat moral des bibliothèques. Notre étude confirme que les licences numériques sont en fait la manifestation de celle-ci en contrat normalisé. Ainsi, les exceptions ne servent pas à éliminer le recours aux licences mais à signaler l’importance de la mission morale des bibliothèques en droit positif. En ce qui concerne le pluralisme, le contrat moral des bibliothèques se voit normalisé et introduit une nouvelle façon de concevoir le rôle des exceptions. En effet, il est plus efficace pour une bibliothèque d’obtenir une œuvre numérique sous licence d’un éditeur que de la numériser elle-même grâce à une exception. Cette conclusion introduit une nouvelle façon de concevoir la relation entre les titulaires et les bibliothèques.

Quels chantiers s’ouvrent à nous suite à ces conclusions?

Dans un premier temps, l’importance des métadonnées juridiques nous incite à réfléchir aux rôles des systèmes informatiques complexes dans la gestion des activités socioéconomiques. Spécifiquement, nous croyons que les cryptomonnaies sont un domaine d’intérêt pour le droit cybernétique en général et le droit d’auteur numérique en particulier.

Ensuite, la symbiose entre l’œuvre numérique et ses droits d’accès sous licence, surtout dans le contexte des bibliothèques, nous incite à approfondir la théorie des communs en droit, surtout dans les systèmes sociaux basés sur les contributions volontaires et les licences libres. En effet, serait-il possible de mieux qualifier ce genre de système socioéconomique en droit civil? Comment pouvons-nous expliciter en droit des échanges à large échelle où il n’y a pas toujours des échanges monétaires? Quels seraient les rôles des bibliothèques dans de tels systèmes ?

Puis, l’introduction de nouvelles conceptualisation du cadre juridique des bibliothèques et du rôle des ententes privées nous incite à explorer les liens entre les théories du design participatif et des jeux avec le pluralisme juridique. Justement, s’il est maintenant possible d’articuler des ententes pérennes, évolutives et flexibles, comment est-ce que le design participatif, le co-design et les jeux peuvent-il renseigner le pluralisme dans l’élaboration de rapports juridiques privés? L’idée, bien sûr, consiste à réfléchir aux cycles de vies des objets et sujets au sein de cadres juridiques afin d’anticiper les externalités et les asymétries de pouvoir pour limiter l’intervention du législateur ou des cours dans les rapports socioéconomiques.

Enfin, notre cadre d’analyse socioéconomique ainsi que notre approche quantitative en droit nous confirme l’importance d’une vision téléologique du droit. De plus, nous avons noté que l’analyse empirique et quantitative du droit comme courant intellectuel et académique est de plus en plus populaire. Nous croyons que le cadre d’analyse socioéconomique serait plus que pertinent pour contribuer à ces chantiers intellectuels nouveau du droit. Spécifiquement, nos travaux sur le projet des dictionnaires en accès libre du Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé à l’Université McGill, ouvrent la porte à une analyse empirique et quantitative du droit. La jurilinguistique est maintenant intimement liée aux algorithmes apprenants et à l’intelligence artificielle. Nous croyons pouvoir adapter notre Cadre d’analyse socioéconomique pour ce sujet brûlant en droit.

Pour conclure, nous croyons que le droit – avec la philosophie, les beaux-arts et la théologie – sont les doyennes des disciplines intellectuelles. Le droit a longtemps tenté de se distinguer de ses vieilles sœurs en revêtant des allures austères et fastidieuses, se repliant tranquillement sur lui-même. L’économie et la sociologie, progéniture du droit nourries par la postmodernité numérique, ont rapidement pris le devant. Il est grand temps que le droit redevienne le point d’encrage entre la sociologie et l’économie, pour focaliser les concepts qui les sous-tendent et pour amener une harmonisation théorique.

Merci.

 

Accès libre au droit LLD

Descartes sur la prolifération juridique

Descartes, dans son Discours sur la méthode, dit ceci avant d’édicter les quatre préceptes pour guider la raison: 

Et comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu’un État est bien mieux réglé lorsque, n’en ayant que fort peu, elles y sont fort étroitement observées; ainsi, au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j’aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer.

Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle : c’est-à-dire, d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occa- sion de le mettre en doute.

Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais, en autant de par- celles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre.

Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés; et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.

Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.

Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s’entre-suivent en même façon et que, pourvu seulement qu’on s’abstienne d’en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu’on garde tou- jours l’ordre qu’il faut pour les déduire les unes des autres, il n’y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu’on ne découvre.

 (P. 14) 

Soit dit en passant, je termine les corrections de ma thèse en ce moment… ce silence est bien celui d’un thésard l’ermite, reclus dans son logiciel de traitement de texte…