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LLD
Philosophie du droit – DRT7001
Olivier Charbonneau 2009-12-11
Université de Montréal
Examen Maison
par
Olivier Charbonneau, BCom, MSI, LLM
Faculté de Droit
Présenté à Professeur Jean-François Gaudreault-Desbiens
DRT – 7001 Philosophie du droit
Automne 2009
© Olivier Charbonneau, 2009
Table des matières
1. Question 1 – Courants pertinents au projet de doctorat
1.1. Éloge de l’analyse systémale et la surdétermination
L’analyse systémale et le mécanisme de surdétermination me semblent parmi les courants philosophiques les plus pertinents pour mon projet de doctorat. Tel que présenté sommairement par Gérard Timsit :
« l’analyse systémale […] conduit à s’interroger sur les mécanismes d’accession de la norme à sa signification et à distinguer parmi eux, outre les mécanismes de prédétermination et de codétermination, le mécanisme de la surdétermination – valeurs, code culturel qui président, en dernier ressort, à la détermination du sens conféré à un texte par son lecteur. »
Par ailleurs, les projets réalisés par Andrée Lajoie en lien avec ces théories semblent atteindre des objectifs similaires à ceux qui sont désirés pour mon projet de doctorat.
En effet, mon projet de doctorat consiste à analyser les questions relatives au droit d’auteur dans le monde numérique, particulièrement pour offrir aux institutions du patrimoine (bibliothèques, musées, archives) et les professionnels qui y travaillent des pistes de solutions aux enjeux majeurs du domaine. L’analyse systémale et le mécanisme de surdétermination se posent comme un cadre d’analyse pour les revendications de plusieurs groupes, ce qui est particulièrement utile pour le droit d’auteur.
En effet, le marché de biens culturels, d’information et du savoir s’organise en pôles : auteurs, éditeurs, diffuseurs, consommateurs et leurs institutions se partagent les rôles industriels et emploient le droit d’auteur pour consolider leurs intérêts. L’arrivée du numérique et de l’incertitude causée par un courant perpétuel de réforme bouscule les positions des acteurs et donc, l’équilibre relatif nécessaire au bon fonctionnement du droit d’auteur. Par exemple, citons simplement les projets de numérisation de masse de fonds documentaires et la question du droit d’auteur sur les œuvres orphelines. Ensuite, la question du livre numérique soulève des problématiques à chaque niveau de la chaîne de production culturelle :
· le contrat type de l’Union des écrivaines et écrivains du Québec (UNEQ) et d’autres syndicats de créateurs qui indiquent q’une licence est à primer sur la cession de droit ce qui cause un impact sur la « chaîne des droits » en aval dans l’industrie numérique;
· la nouvelle plate-forme de diffusion numérique de l’Association nationale des éditeurs de livre (ANEL);
· le rôle des librairies dans le commerce électronique, qui délocalise cette industrie;
· le besoin du consommateur d’avoir accès à des marchés efficaces et compétitifs;
· les contrats d’accès et la difficulté de trouver les droits nécessaires en amont de la « chaîne des droits » les missions de bibliothèques de tous types.
Également, la question de l’utilisation équitable et des exceptions au droit d’auteur, en tant que mécanismes extracontractuels au profit de clientèles d’institutions du patrimoine sans toutefois brimer des marchés légitimes, doit être revisitée en profondeur. Ces exemples illustrent la double nécessité d’établir le contexte juridique de ces questions pour la juridiction québécoise et canadienne ainsi que de déborder du cadre de la loi.
Il appert que ces questions soulèvent toute une panoplie de questionnements juridiques et de revendications qui dépassent le simple cadre du droit. Des enjeux juridiques peuvent survenir, comme le précise Lessig, dans l’économie et les marchés, dans les pratiques ou les normes sociales et dans les technologies. Citons aussi en exemple le récent ouvrage de William Patry qui explore les tensions entre revendications des acteurs industriels, puis les recensements des origines philosophiques du droit d’auteur numérique.
Par ailleurs, « théorie pure du droit » de Kelsen, surtout sa pyramide qui hiérarchise divers types de règles, du droit positif jusqu’aux autres aspects comme les normes, a longtemps figuré à la tête du palmarès des courants philosophiques d’intérêt pour ce projet de doctorat. Comme le précise l’Encyclopédie Universalis:
« Kelsen assigne pour but unique à la science du droit d’établir les normes du droit positif, de définir leur contenu, les modalités de leur élaboration et de leur application. »
Il s’agissait d’un cadre intéressant, mais l’analyse systémale et le mécanisme de surdétermination semblent plus pertinents pour les raisons déjà évoquées.
1.2. Rôle du positivisme dans mon projet de doctorat
Sur un même ordre d’idée, le positivisme juridique se pose comme un courant moins pertinent, surtout celui proposé par Hart. Il indique qu’il existe deux types de règles :
« Under the rules of the one type, which may well be considered the basic or primary type, human beings are required to do or abstain from certain actions, whether they wish to or not. Rules of the other type […] provide that human beings may by doing or saying certain things introduce new rules of the primary type, extinguishing or modifying old ones, or in various ways determine their incidence or control their operations. Rules of the first type impose duties; rules of the second type confer powers, public or private. »
Hart précise que ces règles ont deux sources d’autorité: « une règle peut être obligatoire (a) parce qu’elle est acceptée ou (b) parce qu’elle est valide. » Cette approche permet un droit aux contours flous (« open texture ») et offre aux juges un certain pouvoir discrétionnaire.
Ma réserve quant positivisme tel que posé par Hart consiste à préserver le droit comme un système relativement hermétique. Il prend pour acquis que le Législateur pose un droit général et se replie sur le Judiciaire pour permettre une certaine adéquation du droit à l’arène sociale et politique. La symbiose ainsi posée entre l’État et la règle, puis le rôle du judiciaire, ne représente pas adéquatement les problématiques que soulèvent le droit d’auteur numérique et les revendications dans la réforme du droit d’auteur. Ceci dit, il va de soi que le projet de doctorat contiendra une classification ontologique des sources premières du droit (loi, jugements) qui sera manifestement « positiviste » ainsi qu’une analyse approfondie de la doctrine.
Mais la force du projet résidera dans la recension des revendications des acteurs de l’industrie et des institutions. Timsit offre donc un cadre opportun pour examiner nos interrogations sous un angle des plus pertinents :
« il apparaît que le caractère obligatoire de la norme ne se situe pas seulement sur le plan de l’impérativité – de la contrainte, de la normativité – mais résulte également de considérations liées à la juridicité, à la signification de la norme…»
2. Question 2 – Analyse de l’arrêt Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain [2002] R.C.S. 336
L’arrêt Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain illustre plusieurs aspects de la philosophie du droit, dont en premier lieu, la tension entre le droit d’auteur et les droits moraux. Dans les deux cas, ils sont édictés par la Loi sur le droit d’auteur, donc découlant d’une source purement positive en droit canadien, mais leurs origines historiques et internationales proviennent de sources bien différentes. En effet, le Juge Binnie, au nom de la majorité, et le Juge Gonthier, dissident, précisent les articles de loi qui édictent le droit d’auteur en des droits économiques exclusifs en vue de l’exploitation commerciale d’une œuvre ainsi que les droits moraux qui protègent les intérêts artistiques du créateur original. La source positive du droit d’auteur et des droits moraux est ainsi confirmée.
Par contre, les droits moraux ont une origine bien différente. Pour le Juge Binnie, les droits moraux :
« consacrent une conception plus noble et moins mercantile du lien entre un artiste et son œuvre. Ils traitent l’œuvre de l’artiste comme un prolongement de sa personnalité et lui attribuent une dignité qui mérite d’être protégée. »
Cette vision est corroborée par le Juge Gonthier puisque les droits moraux sont « comme une extension de la personnalité de l’auteur ». Ce lien entre l’artiste et son œuvre découle de la qualité même de l’artiste (ou de sa volonté), ce qui porte les droits moraux vers le jusnaturalisme. Quoique cette distinction ne soit pas étayée comme tel dans ce jugement, elle a porté un coup décisif dans sa résolution : le droit d’auteur, d’origine positive et s’articulant comme un droit économique, a primé sur les droits moraux, découlant d’une vision du droit naturel qui relève de la qualité d’un individu. D’ailleurs, cette distinction fascinante a eu bien des impacts dans le débat qui entoure le droit d’auteur.
Sur un autre ordre d’idée, les deux positions de ce jugement opposent deux approches fondamentalement différentes, celle de l’herméneutique (interprétation) pour le Juge Binnie puis celle de la rhétorique (argumentation) pour le Gonthier. En effet, Paul Ricœur pose que l’interprétation suppose une compréhension des faits en cause pour ensuite déterminer loi applicable tandis que l’argumentation :
« est tirée de la règle d’universalisation […]. Il faut donc procéder par degrés de décomposition jusqu’à trouver un emploi des expressions de la loi dont l’application à un cas donné ne laisse plus de place à la dispute. »
Ricœur propose un rapprochement de ces deux concepts : l’interprétation constitue un outil essentiel à l’argumentation. Dans tous les cas, la distinction entre ces deux approches en droit nous permet de procéder à l’analyse tour à tour les deux parties du jugement.
2.1. Le Juge Binnie (majorité) et l’interprétation
Les adhérents de la « Sociological Jurisprudence » et au mouvement réaliste américain auraient long à dire à propos de l’approche du Juge Binnie de puiser allègrement dans les précédents jurisprudentiels. Selon ces penseurs, les précédents ne dictent pas une solution toute faite au juge. Plutôt, ils constituent une base de départ pour la réflexion ainsi que des outils fonctionnels pour le juge afin qu’il livre un traitement égal ou prévisible aux litiges. Ainsi, le juge opère une reformulation de chaque règle du précédent, puisque « ce n’est pas le texte qui change, mais bien le lecteur. »
Pour sa part, Dworkin souligne qu’il incombe au juge de préserver l’intégrité du droit par ses jugements, comme si chaque juge écrivait un nouveau chapitre d’un long roman juridique :
« Law as integrity asks judges to assume, so far as this is possible, that the law is structured by a coherent set of principles about justice and fairness and procedural due process, an dit asks them to enforce these in the fresh cases that come before them, so that each person’s situation is fair and just according to the same standards.»
Par contre, sa position diffère de celle des adhérants à la « Sociological Jurisprudence » et au mouvement réaliste américain. Ces derniers tentaient une relecture de la doctrine du précédent afin de bonifier la common law grâce à de nouveaux outils d’analyse tandis que Dworkin rapproche l’interprétation portée par les juges au positivisme pur. Il est évident que le travail de recension et d’analyse étroite des concepts juridiques des autres arrêts pertinents du Juge Binnie porte honneur à la position de Dworkin.
2.2. Le Juge Gonthier (dissident) et l’argumentation
La décision dissidente rendue par le Juge Gonthier propose une adéquation des règles de droit, de la volonté des parties dans le contrat mais aussi le sens même de certains mots pour atteindre le dispositif. Par exemple, le Juge Gonthier précise :
« La législation canadienne doit donc s’interpréter à la lumière du contexte historique, des développements jurisprudentiels et législatifs internes et des conventions internationales. »
Mark van Hoecke voit dans ce dialogue entre règles juridiques, interprétations, principes, et la volonté des parties sa « théorie de l’argumentation » (Argument Theory). Cette théorie pose que la « justice générale » (General Justice), qui se base sur une « légitimation traditionnelle » (Traditional Legitimation) où une décision est imposée par une instance autoritaire ayant un pedigree systémique fort, sera appelée à évoluer vers une « justice concrète » (Concrete Justice) qui découle d’une « légitimation communicative » (Commuincative Legitimation). L’argumentation devient donc un outil pour faire le pont entre le droit et les autres sources, dont la morale et les règles non écrites.
Cette approche évoque également la théorie pure du droit de Kelsen, particulièrement sa
« recherche [de] la structure logique des ordres juridiques existants et parvient ainsi à la compréhension de la construction hiérarchisée (de la pyramide) de l’ordre juridique, compréhension qui, pour la connaissance de l’essence du droit, revêt une signification fondamentale. »
C’est ainsi que Kelsen récupère les normes et la morale, entre autres, dans sa compréhension du droit.
Sans cette ouverture sur le concept même de droit, il est difficile de comprendre pourquoi le Juge Gonthier insiste tant sur l’impact du contrat entre l’artiste Théberge (l’intimé) et l’Éditeur É.G.I. (un tiers au litige) sur les agissements de l’appelant (les galeries d’art) qui n’est pas partie au contrat. Il paraît paradoxal que le Juge Gonthier voit, dans le contrat entre Théberge et É.G.I. une source pour interdire un tiers de poser une action, interdite par contrat certes, mais permise par la loi. La tension entre les visions du Juge Binnie et Gonthier du droit économique et du droit « naturel » de l’artiste en est à son paroxysme à ce moment. Dans tous les cas, les théories de Kelsen et de van Hoecke, entre autres, offrent un cadre conceptuel dans lequel le Juge Gonthier opère son exercice rhétorique.
Pour tout dire, citons Vanier dans son analyse de la Nouvelle Rhétorique de Pelerman: « l’argument fort est en principe celui qui peut se prévaloir de précédents. » Comme le précise le Juge Binnie pour la majorité :
« Si l’intimé visait juste en essayant d’étendre le concept de la reproduction d’une « partie importante de l’œuvre » aux cas où il n’y a pas multiplication, on s’attendrait à trouver de la jurisprudence à l’appui de sa thèse. Or, aucune cause l’appuyant n’a été portée à notre attention.»
Somme toute, nonobstant l’effort de rhétorique, l’herméneutique est manifestement un outil préalable et essentiel du juge.