Droit d’auteur sur les données en humanités numériques
Notes de ma présentation à l’École d’été du CERIUM, en association avec le Centre de Recherche Interuniversitaire sur les Humanités Numériques (CRIHN) et le projet Littérature québécoise mobile du mardi 20 juin 2023.
Source: Michael Sinatra
0. Mise en scène
(Sujet amené) Dans sa présentation du n. 141 de la revue littéraire québécoise Moebius, dont le thème est Mathématiques, Normand Baillargeon [Baillargeon, N. (2014). Présentation. Moebius, (141), 7–12.] positionne les maths et la littérature comme deux continents en manque de ponts, de liens. Outre ce premier constat, il en avance trois qui les relient :
- LA FORME : la validité de la proposition et la forme de la preuve, d’une part, et les formes et contraintes (poésie, conte, roman…), de l’autre ;
- LE JEU : règles, axiomes théorèmes, puis énigmes et intrigues;
- LE RÉCIT: vocabulaire ou concepts contre imaginaire et souvenirs;
Et, peut-être que l’intermédiaire du droit d’auteur permet de rapprocher la littérature de ces quantifications numériques ?
(Sujet posé) Justement, le droit d’auteur offre une feuille de route pour saisir l’ampleur des mutations ou transformations introduites par le numérique (et bien d’autres, avant celles-ci), lesquelles s’inscrivent par l’introduction d’une nouvelle classe de droit de propriété: le droit de mise à disposition. Le droit d’auteur n’est pas complexe en soi, c’est les frictions qui découlent des normes socioéconomiques, politiques, technologiques, etc., qui introduisent de nouveaux éléments à l’équation juridique. Malgré les « saveurs » nationales du droit d’auteur, la recette est globalement la même.
(Sujet divisé) Qu’est-ce que le droit d’auteur? Comment ça fonctionne? Qu’est-ce qu’une oeuvre en droit d’auteur?
1. Éléments de base du droit d’auteur
Débuts britanniques du copyright au 18e siècle: Statute of Ann (livre, 1710) et l’Acte d’Hogarth (gravure, 1734). Le droit d’auteur Français et la piraterie américaine au 19e siècle. La codification internationale des nouvelles formes médiales depuis… Internet n’est qu’un écho d’une histoire bien connue du droit d’auteur !
1.1 DROIT ÉCONOMIQUE ET ARTISTIQUE
Propriété
art 3, https://canlii.ca/t/ckj9#art3: protection de l’oeuvre. Produire, reproduire, publier, exécuter en public l’entièreté ou une partie substantielle de la forme exprimée. En 2012, le législateur édicte la «mise à disposition par Internet» comme une méthode d’exécution en public.
Durée
art. 6, https://canlii.ca/t/ckj9#art6: durée du droit d’auteur. 70 ans après la mort de la créatrice. Après, l’utilisation n’est plus restreinte par le droit d’auteur et l’oeuvre est dans le domaine public.
Contrats, licences, cessions et toutes les concessions
art 13, https://canlii.ca/t/ckj9#art13: possession, cessions et licences. Certaines dispositions sont édictées comme point de départ, mais le droit d’auteur est agnostique quant à la teneur des contrats.
- Cession (transfert/vente) ou licence (location)
- Règle ou stratégie? Cession, mondiale, perpétuelle, exclusive, à titre gratuite
- Exception culturelle: pression morale et politique pour une configuration particulière des modalités de contrat. Rôle du code civil dans pour sa mise en oeuvre au Québec
Droit moral et artistique
art 14.1(2) https://canlii.ca/t/ckj9#art14.1: Les droits moraux sont incessibles; ils sont toutefois susceptibles de renonciation, en tout ou en partie. Encore les contrats!
1.2 AUTOUR DU DROIT D’AUTEUR
Formes insaisissables
(fixation de l’oeuvre)Certaines formes d’expression artistiques glissent hors de la structure édictée par le droit d’auteur. La danse peut difficilement être fixée (filmer une chorégraphie protège la vidéo produite, pas la danse elle-même). Pour les artistes-interprètes musicaux, une forme de «droit voisin» est édicté. La mode est généralement exclue du droit d’auteur au Canada.
Les savoirs traditionnels et les formes d’expressions autochtones sont des formes qui glissent également (fort malheureusement) de la structure du droit d’auteur, tout comme le patrimoine vivant.
Limitations
Les limitations édictent une utilisation sans autorisation mais rémunérée. Les Société de gestion collectives (SGC) sont les organisations appelées à gérer les droits sur un corpus homogène d’oeuvres pour une communauté donnée. Copibec gère la réprographie au Québec. Dans l’industrie, on parle des «petits droits» pour ceux gérées par les SGC.
Exceptions
Les exceptions édictent une utilisation sans autorisation et sans rémunération. L’utilisation équitable aux art. 29, 29.1 et 29.2. Le contenu non-commercial généré par les utilisateurs à l’art 29.21. Les Bibliothèques, archives et musées (BAM) aux art. 30.1 et 30.2.
Synthèse
2. La question de l’originalité (juridique!)
Le droit d’auteur protège les oeuvres originales et fixées. Les faits ne sont pas originales à moins que la sélection et l’arrangement de ceux-ci découle du talent, jugement et de l’effort. Une recette n’est pas protégée, à moins de se qualifier comme originale dans la forme qu’elle est exprimée. Les idées ne sont pas protégées par droit d’auteur.
Est-ce que les données sont protégées par droit d’auteur?
Essentiellement, la compilation, pour être originale, doit être une œuvre que son auteur a créée de façon indépendante et qui, par les choix dont elle résulte et par son arrangement, dénote un degré minimal de talent, de jugement et de travail. Ce n’est pas une haute exigence, mais c’en est une. S’il en était autrement, n’importe quel type de choix ou d’arrangement suffirait, puisque ces opérations supposent un certain effort intellectuel. Toutefois, la Loi est claire: seules les œuvres originales sont protégées. Il se peut donc que certaines compilations ne satisfassent pas à ce critère.
Source: Télé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information, Inc., [1998] 2 CF 22, 1997
CanLII 6378 (CAF), <http://canlii.ca/t/4mzd>
Est-ce que la numérisation d’une oeuvre du domaine public introduit un « nouveau » droit d’auteur?
- Premier cas: la numérisation homéostatique d’un manuscrit médiéval ou d’un livre imprimé du 19e siècle
- Ensuite, ledit manuscrit maintenant encodé avec avec le schéma
- Second cas: une pellicule de film
- Troisième cas: une sculpture
Proposition de trois objets en humanités numériques à considérer par cette doctrine:
- Les objets
- L’oeuvre, l’object unitaire du droit d’auteur, un roman, un article, une peinture, une sculpture, une partition musicale…
- La métadonnée, qui représente l’oeuvre, dont certains éléments sont purement factuels (dépouillement bibliographique, par exemple) tandis que d’autres le sont (le sommaire)
- Le corpus (collection, fonds, inventaire, volume d’une revue…)
- Les sujets
- Les règles
- Les interactions (lecture/accès, écriture/enrichissement, lien, échange)
D’ailleurs, avec le numérique, il est possible d’offrir plusieurs licences différentes pour le même objet de droit. Il est préférable de valider les perspectives juridiques par une entente écrite.
3. Le chantier juridique pour un projet en humanités juridiques
Le chantier juridique constitue une étape de validation pour articuler les approches souhaitées aux situations complexes en droit. Il s’agit d’un exercice qui peut s’étaler sur plusieurs années autour des oeuvres, métadonnées et corpus visés, en lien avec les communautés actives dans un projet.
Les phases pertinentes sont:
- Un inventaire des « classes documentaires (œuvres) » (collections / corpus / etc.) en fonction de leur statut juridique;
- Un inventaire des « contextes d’utilisation » (services documentaires) des collections;
- Une synthèse des considérations juridiques des conditions d’acquisition des documents; puis
- La production d’une matrice œuvres-utilisation;
- L’élaboration d’une politique et de quelques procédures sur le droit d’auteur, qui doivent «cheminer» aux bonnes instances .
Exemple: le projet des Savoirs communs du cinéma de la Cinémathèque Québécoise.
Synthèse schématique
Ce contenu a été mis à jour le 2023-06-20 à 9 h 56 min.