Réflexions bibliothéconomiques
AVIS : ce billet contient quelques idées théoriques lancées sans prétention dans un moment de lucide et caféiné de procrastination. Une sorte d’aérophagie cérébrale que je dois extraire par écrit sans quoi mon esprit va divaguer toute la journée. Soupape de ma pression intellectuelle, ce billet risque d’être incohérent et je m’en excuse.
J’ai lancé un fil sur l’économie théorique il y a quelques mois suite à la lecture des travaux de Niva Elkin-Koren et Eli M. Salzberger, que j’ai relancé à l’occasion des consultations sur le prix unique du livre. Je désire reprendre ce fil dans une série (« tag« ) que j’intitule « bibliothéconomie« .
Je ne le dis pas trop fort, mais une des raisons principales de mes études doctorales en droit consiste à comprendre la dynamique qui soustend l’existence des bibliothèques. J’approche la question depuis les questions du droit d’auteur car il s’agit de l’institution qui instaure le régime de propriété intellectuelle et qui ouvre la porte à l’analyse économique des bibliothèques.
Je m’approprie le concept de bibliothéconomie pour désigner cette réalité, malgré que ce concept soit vieillit et s’applique plutôt aux questions budgétaires qu’à la réalité socioéconomique plus large. Mais c’est ça le langage, on peut jouer avec pour ses besoins.
Si on passe son temps à lire (et écrire!) des argumentaires fournis à nos parlementaires pour la réforme du droit d’auteur, sport auquel je m’adonnais avec passion avant de modifier mes habitudes de lecture pour inclure une panoplie de livres pour enfants et des traités économiques, on constate que le recours à des arguments sociologiques – la nécessité de l’accès à la lecture, l’utilité des institutions démocratiques et libres dans l’établissement d’une culture et une vie civique vibrante, etc. – dans l’argumentaire central. Je suis absolument en faveur de ces arguments !
Mais, une question me tiraille depuis que l’on me l’a posée dans les coulisse d’une conférence sur le droit d’auteur : pourquoi est-ce que les bibliothèques demandent un droit d’expropriation sur la propriété d’autrui ? Lancée par un collaborateur curieux de me voir patiner avec deux verres de vin dans le nez et l’adrénaline découlant d’une présentation une heure plus tôt, la question fait référence à un lexique économique et sur le coup, je me suis retrouvé à court d’outils intellectuels pour décortiquer la question.
Comme si on me posait une question dans une langue étrangère dont je balbutie quelques mots, incapable de faire justice à la complexité de la réalité à laquelle nous oeuvrons depuis longtemps. Depuis, la question de l’économie du droit d’auteur, mais surtout dans un contexte de bibliothèque, me fascine.
L’idée, bien simplement, est de reprendre les arguments « classiques » des bibliothèques et de les exprimer dans un langage économique. Pourquoi ? Et bien, les tractations commerciales ont beaucoup plus d’impact sur l’élaboration des traités internationaux que les arguments sociologiques et philosophiques. Sur le simple plan des idées, toutes ces structures conceptuelles et intellectuelles se valent, mais dans l’arène internationale (où les vraies questions du développement du droit d’auteur sont débattues), l’économie mène le bal.
Mon message ne s’adresse pas aux bibliothécaires. Je n’ai pas besoin de prêcher aux convertis. L’idée est de « traduire » l’argument des bibliothèques en langage économique afin d’articuler notre message à un auditoire nouveau, celui du délégué commercial aux négociations internationales. Il s’agit aussi de comprendre comment s’approprier une science qui a déjà figuré dans notre bagage conceptuel mais qui fait cruellement défaut (selon mon analyse personnelle découlant d’une multitude d’interactions à travers le monde lors de ma courte carrière professionnelle).
Voici, en vrac, quelques réflexions imparfaites, brutes, incomplètes… découlant d’une bonne nuit de sommeil et d’un bon café fort :
Néolibérale / École de Chicago
Il s’agit de l’économie classique des marchés, de l’offre et de la demande, où les coûts de transactions sont appréhendés comme nuls. Les problèmes sont l’émergence de monopoles ; les biens publics ; l’information imparfaite ; et les externalités.
La question du prix et du marché est centrale, je dois avouer que je vais devoir réfléchir profondément à cette question. Il s’agit aussi du domaine qui nécessite le plus de travail conceptuel !
Peut-être aurais-je la réponse avec le concept d’indirect appropriability ?
École transactionnelle
Je suis un peu plus confortable avec cette école de pensée. Il faut étudier les transactions et étudier leurs dynamiques, leurs coûts réels et perçues. Le coût d’emprunt en bibliothèque et généralement zéro, auquel il faut ajouter le coût de déplacement (stationnement, prendre sa voiture, attendre en ligne…) et c’est pourquoi que certains réseaux de bibliothèques offrent des services hors les murs et pourquoi la question des abonnements aux ressources électroniques et du livre électronique fait le plus peur… comment réconcilier les dynamiques de marché avec la réalité du prix nul au point d’accès si les autres éléments de l’équation du coût d’accès (temps de déplacement, etc) sont nuls ?
École du « welfare economics »
Les collections de bibliothèques constituent des bien publics (ou clubs goods si on est plus humble) desquels une communauté tire une externalité fortement positive. Dit autrement, selon moi, une oeuvre protégée par le droit d’auteur se comporte naturellement comme un photon : deux états paradoxaux se chevauchent pour créer un effet quantique, le bien, du point de vue économique, se comporte comme un bien privé mais aussi un bien public. J’en suis à l’écriture de ribambelles de pages sur cette question dans ma thèse, mais croyez-moi, il s’agit d’une petite idée qui a de GROSSES conséquences.
Enfin, selon moi, si on positionne les concepts de bibliothèques et de droits d’auteur sur le même plan conceptuel, j’en suis à me dire que la bibliothèque est devenue l’outil social – l’institution – qui permet à la société de bénéficier du caractère économique du bien public inhérent à l’oeuvre protégée par le droit d’auteur.
Comme si la bibliothèque est une « machine » qui transforme le bien privé (objet économique des marchés avec son prix) qu’est le livre en une entité autre, celui de la lecture publique, l’éducation, voire de la culture, qui est un bien public. Ce n’était pas nécessairement pourquoi les premières bibliothèques sont apparues il y a quelques milliers d’années, mais je me suis toujours demandé pourquoi l’émergence de la « free public library » comme développement institutionnel des bibliothèques suit une trajectoire asymptotique avec l’émergence du droit d’auteur moderne au 18e et 19e siècle…
Ça aussi, c’est une petite idée qui peut avoir de grosses conséquences ! Imaginez ce qu’il arrive si on positionne les bibliothèques comme mécanisme social qui transforme la polarité économique d’un bien protégé par le droit d’auteur ! Il serait plus aisé de comprendre pourquoi les bibliothèques collectionnent « naturellement » des oeuvres protégées par le droit d’auteur : livres, certes, mais aussi des cartes, des bandes dessinées, musique, films, jeux vidéos, etc. Il en découle de la fonction qui – organiquement – leur incombe de par le développement de cette institution dans la société !
Économie behavioraliste ou compartmentale
Voir cet article du Monde diplomatique de Juillet 2013 sur le sujet. Comment réagissent les consommateurs à cette offre gratuite de lecture des bibliothèques. Quel est l’impact des comportements sur le marché ? Un fil à tirer plus tard…
Économie néoinstitutionnelle
Rendu ici, je manque de café pour poursuivre. Je n’ai pas en le temps d’approfondir mes connaissance en cette classe de théories économiques mais je crois qu’il s’agit d’un terreau fertile pour la bibliothéconomie… à suivre…
PS. je me sens mieux maintenant. Je peux retourner à l’écriture de ma thèse..
Ce contenu a été mis à jour le 2013-11-20 à 10 h 21 min.