Réforme: Réplique de CultureLibre.ca à Danièle Simpson
Puisque le quotidien montréalais Le Devoir n’a jamais publié notre réplique à Danèle Simpson dans ses pages, nous vous offrons notre texte ici :
Quelle équité dans la réforme du droit d’auteur?
Olivier Charbonneau, Bibliothécaire professionnel et chercheur à l’Université Concordia, l’auteur détient une maîtrise en droit et tient le carnet www.culturelibre.ca
Les consultations du gouvernement fédéral prennent fin le 13 septembre 2009 sur http://droitdauteur.econsultation.ca/.
Le combat qu’évoque Danièle Simpson dans sa lettre publiée dans Le Devoir du 21 août dernier, intitulée « Réforme du droit d’auteur – Les droits des créateurs doivent être respectés » est le mien. Mais ironiquement, nous visons la même fin grâce à des moyens biens différents. Pour cela, je dois accepter mon rôle de fonctionnaire véreux visant à usurper le bien de créateurs sans le sous. Soit. Mais je dois poursuivre cet échange afin de, je l’espère, de faire comprendre la position qui anime mes efforts.
Doxa ou carcan ?
Un dogme québécois veut que tout ce qui protège la culture soit essentiel à la survie de notre identité. Le droit d’auteur, comme je l’ai exposé dans mon article du 6 août dernier, constitue un de ces moyens puisqu’il confère au titulaire un monopole sur l’exploitation d’une œuvre. Ainsi, la seule conclusion logique de ce dogme serait de toujours augmenter la portée du droit d’auteur sans en limiter la nature du monopole, au profit de notre culture. Mais cette doxa comporte des failles importantes.
Le droit d’auteur est un régime qui s’applique à une multitude d’œuvres, dont les romans et la musique, mais aussi les articles scientifiques, les documents gouvernementaux, les rapports annuels de compagnies, etc. Vous conviendrez que le marché pour chaque « type » d’œuvre s’opère bien différemment : nos librairies vendent des romans, les gouvernements publient beaucoup de leurs rapports dans Internet, les radios diffusent de la musique et ainsi de suite.
Cette chaîne constitue un véritable écosystème. Si une nouvelle disposition est introduite en amont, elle peut avoir des effets dévastateurs en aval pour tous les domaines où s’applique le droit d’auteur si nous n’en analysons pas attentivement les impacts, Augmenter la portée du droit d’auteur a des effets bénéfiques jusqu’à un certain point et il est primordial d’établir clairement le point d’inflexion où un renforcement du monopole du titulaire porte ombrage à l’intérêt public. De plus, ce questionnement est d’autant plus important vu l’avènement des technologies de l’information et de la communication.
Libre, pas gratuit
Jamais je n’ai proposé l’utilisation gratuite des œuvres, ni d’imposer aux créateurs de payer les frais de diffusion sans rémunération. Comme je l’ai indiqué au début de ma lettre du 6 août, le régime du droit d’auteur « est efficace et il serait difficile de le remettre en question. » Ainsi, une simple gratuité où les artistes en paient les frais est à l’antipode de ma position.
Par contre, une distinction doit être soulevée entre la gratuité et la liberté. La gratuité me rend aussi inconfortable que vous puisqu’il s’agit d’une règle absolue, incompatible avec l’équité. D’un autre côté, la liberté dans l’utilisation des œuvres, de par sa nature relative, permet une pleine participation à notre culture, notre information et nos savoirs d’une manière équitable.
Ainsi, le droit à l’utilisation équitable et les autres droits des usagers permettent une utilisation libre d’une œuvre, jusqu’à ce que cette liberté se heurte aux droits des titulaires. Je suis donc libre d’utiliser un livre que j’ai acheté, dans la mesure où cela ne nuit pas de manière déraisonnable au droit économique du titulaire.
Par exemple, imaginons que je déteste le livre en question. Je le résume dans mon carnet web afin de démontrer les failles dans son histoire, je sélectionne quelques paragraphes pitoyables afin de pouvoir illustrer mes propos, bref, je le critique sévèrement. Qu’arrive-t-il si je reçois une lettre de l’éditeur m’obligeant de retirer le billet offensant de mon carnet puisqu’il usurpe le droit d’auteur de par mon résumé et mes citations ? Qu’il porte préjudice au marché du livre par ma critique virulente ?
Cette situation se produit de plus en plus. Si cela vous rend incrédule, je vous invite à visiter le site www.chillingeffects.org ou à vous renseigner sur les poursuites bâillons.
Unanimité de la Cour suprême du Canada
Comme le souligne la Cour suprême à l’unanimité dans l’arrêt de 2004 CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada:
« Un acte visé par l’exception relative à l’utilisation équitable ne viole pas le droit d’auteur. À l’instar des autres exceptions que prévoit la Loi sur le droit d’auteur, cette exception correspond à un droit des utilisateurs. Pour maintenir un juste équilibre entre les droits des titulaires du droit d’auteur et les intérêts des utilisateurs, il ne faut pas l’interpréter restrictivement.» (paragraphe 23).
Renforcer le droit d’auteur à outrance, sans garantir des droits aux utilisateurs comme le droit à l’utilisation équitable et autres exceptions, inflige une limite indue aux Canadiens et peut même aller à l’encontre du développement d’un marché équitable. Le droit des utilisateurs garantit, entre autre, l’exercice de nos droits civils garantis par les Chartes Canadienne et Québécoise, comme le droit à la liberté d’expression, le droit à l’éducation ainsi que le droit d’accès à l’information. De plus, le droit des utilisateurs permet de faire contrepoids au monopole du titulaire du droit d’auteur afin qu’émerge un marché équitable pour la culture, l’information et le savoir.
Pouvoir ou contrôle ?
J’implore les créateurs de comprendre que revendiquer « plus » de droit d’auteur ou « moins » d’utilisation équitable, c’est l’équivalent d’augmenter le contrôle sur une œuvre. Ces revendications peuvent mener à un contrôle indu sur les œuvres qui nous sont si chères. Souvent, ces revendications tentent de rétablir leur pouvoir de négociation avec leurs éditeurs, producteurs et autres intervenants dans la chaîne économique.
Mais en réalité, une large part du pouvoir de négociation que détient le créateur provient de la popularité de son œuvre, de l’intérêt qu’on les gens à participer à son processus créatif. Le lien causal, entre une augmentation du contrôle sur l’œuvre par le renforcement du droit d’auteur et une augmentation du pouvoir de négociation avec les intervenants industriels, est alléchant mais faux. Une créatrice populaire pourra imposer ses termes aux diffuseurs, tandis que les autres sont contraints d’adhérer aux termes proposés, comme avant, comme toujours.
Signez ici
Selon l’article 13 de la Loi sur le droit d’auteur, un transfert ou une cession de droit d’auteur se produit uniquement dans un contrat écrit et dûment signé. Si la créatrice original est généralement titulaire du droit d’auteur selon la loi, celle-ci est souvent appelé à céder aux diffuseurs tous ses droits par contrat.
Il s’agit d’une situation déplorable, mais telle est la nature de l’industrie de la culture. L’intérêt économique des diffuseurs est de s’arroger le plus de droits possibles du créateur et d’exercer pleinement ce monopole, au profit de ses actionnaires. Après tout, ils agissent en tant que gestionnaires diligents du bien d’autrui et telle est la nature de notre système économique.
Les consommateurs et leurs institutions doivent composer avec cette situation commerciale, où le monopole sur l’exploitation de l’œuvre plane sur leurs têtes comme l’épée de Damoclès. Cette réalité est exacerbée par l’environnement numérique. Toute consommation légale d’une œuvre numérique passe maintenant par un contrat, où sont établis termes d’utilisation, mentions légales, conditions. Les droits des utilisateurs revêt une importance capitale dans ce contexte.
Tous les créateurs sont des utilisateurs
Avant de créer, l’auteure lit, le cinéaste regarde, la musicienne écoute. Ces créateurs s’approprient des œuvres d’autrui afin d’élargir leurs horizons et bâtir les œuvres de demain. La distinction portée entre les utilisateurs et les créateurs est teinté d’une ironie qui ne manque jamais de m’épater. L’utilisation équitable permet aux musiciens de « jammer » dans les sous-sols, aux peintres d’apprendre en copiant les maîtres, aux artistes de respirer dans leur art !
L’élargissement du droit à l’utilisation équitable est aussi une mesure au profit des créateurs, qui sont utilisateurs avant toute chose.
Les créateurs sont importants
Tous les écrivains, éditeurs, libraires, enseignants, bibliothécaires et autres professionnels de la culture travaillent collectivement au foisonnement de notre culture. Nous savons tous que le travail de création est difficile, risqué et exigeant. C’est pourquoi nous investissons et soutenons la création par le biais du Conseil des arts et autres programmes, ainsi que par des institutions publiques de qualité. Il s’agit d’un élément distinctif qui nous élève et nous grandit. La preuve du respect des créateurs au Québec n’est pas à faire.
Quant à lui, le droit d’auteur propose le contexte dans lequel évolue chaque œuvre dont est composé notre patrimoine. Une évolution du droit d’auteur qui limite le droit des utilisateurs porte préjudice à la création et à la pleine participation de tous dans la société civile.