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Canada Réforme

Nouvelle politique culturelle canadienne

La ministre du patrimoine Canadien, l’honnorable Mélanie Joly vient tout juste d’annoncer la diffusion de la nouvelle politique culturelle canadienne avec le mot clic: #canadacreatif.

La politique s’organise autour de trois thèmes: l’investissement dans les créateurs; la découvrabilité du contenu Canadien; et renforcer la radiodiffusion et les nouvelles locales. Un point sur la découvrabilité. Cette approche se divise en troix axes: le marché domestique; les services et plateformes étrangères et le marché interne.

Entre autres mesurer concrètes, la ministre Joly a annoncé que Netflix implantera la première filiale de production à l’extérieur des États-Unis, un investissement de près d’un demi-milliard de dollars. De plus, 25 millions seront utilisés pour le dévelioppement de contenu en français, que ça soit au Québec ou de la part des minorités linguistiques dans le reste du Canada.

Par ailleurs, les lois sur le droit d’auteur, sur la radiodiffusion et sur les télécommunications seront à l’étude. Le droit d’auteur passera à travers une analyse parlementaire et la ministre se voue à la défense des droits des créateurs. Ensuite, le CRTC préparera une étude du cadre réglementaire et nourrira le processus de réforme désiré par son ministère et celui de l’industrie.

La politique gouvernementale intitulée Canada Créatif est d’ores et déjà disponible sur Internet.

La politique gouvernementale mentionne les bibliothèques du bout des lèvres dans la section « Trousse d’outils se rapportant à la politique culturelle fédérale – une séléction de mesures » où est aussi présenté ce sommaire réglementaire:

Il faut noter que ce sommaire n’est pas nouveau, j’ai déjà eu copie de cette image lors des sessions de consultations fédérales auxquelles j’ai été invité à titre de chercheur.

Ceci dit, l’emphase est mis sur Bibliothèque et Archives Canada, qui partage une section avec Musées nationaux du pays dans le document de politique.

Ironiquement, il manque plusieurs outils à la ministre pour réellement avoir un impact. Le pouvoir du gouvernement fédéral est certes très for autour des cadres juridiques mais plusieurs des institutions charnières dans l’écosystème culturel sont soit privées (compagnies), provinciales (villes, commissions scolaires, universités – où vivent les bibliothèques) ainsi que les ménages canadiens, dont les choix façonnent la réalité culturelle au quotidien.

Ainsi, la politique culturelle canadienne est certes importante mais je crois que mes efforts seront mieux investis à attendre l’analyse parlementaire de la Loi sur le droit d’auteur qui devrait débuter dans les prochains mois…

Canada Droit d'auteur Pétition Réforme

Abolir le droit d’auteur de la couronne: signez la pétition avant le 23 septembre

Il ne reste que quelques jours avant la clôture de la période de signature de la pétition e-1116, enjoignant le gouvernement fédéral d’abolir le droit d’auteur de la couronne. Le quoi? Le droit d’auteur de la couronne est le nom que l’on donne au droit satutaire (à l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur) quand le droit d’auteur appartient à Sa Majesté.

Quand le droit d’auteur appartient à Sa Majesté

 Sous réserve de tous les droits ou privilèges de la Couronne, le droit d’auteur sur les oeuvres préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d’un ministère du gouvernement, appartient, sauf stipulation conclue avec l’auteur, à Sa Majesté et, dans ce cas, il subsiste jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de la première publication de l’oeuvre.

  • L.R. (1985), ch. C-42, art. 12; 1993, ch. 44, art. 60.

C’est-à-dire que tous les gouvernements du Canada possède un droit d’auteur spécial sur tous les écrits, images, cartes, etc. produites par ses fonctionnaires et les contractuels y oeuvrant (si leur contrat de travail est silencieux quant à la titularité du droit d’auteur.

Ironiquement, le site officiel des publications du Canada indique que la gestion du droit d’auteur de la couronne revient aux départements et entités spécifiques – ce qui créé un joli bordel quand nous désirons créer une collection de documents numériques en bibliothèque. Voici le joli texte évoquant un casse-tête pour les canadiennes et les canadiens, enseignants, élèves, entrepreneurs, scientifiques et bidouilleurs:

Depuis le 18 novembre 2013, Éditions et Services de dépôt n’est plus responsable de l’administration du droit d’auteur de la Couronne et l’octroi de licences au nom des ministères et organismes du gouvernement du Canada. Les Canadiens et Canadiennes doivent communiquer directement avec les ministères auteurs pour toute question relative au droit d’auteur de la Couronne et l’octroi de licences.

Certains ministères et organismes ont fourni des points contact spécifiques aux demandes d’affranchissement du droit d’auteur reliées à leur matériel. Si vous êtes incapable de trouver une organisation dans la liste des points de contact fournie ci-dessous, veuillez consulter la liste des ministères et organismes du gouvernement du Canada sur le site Web du Canada.

La solution? signez la pétition pour abolir le droit d’auteur de la couronne:

À l’origine de changements sociaux positifs se trouvent à la fois des actions énergiques menées sur de grands enjeux, et des avancées graduelles sur des aspects techniques, mais qui n’en sont pas moins importants.

La campagne sur la réforme du régime de droits d’auteur de la Couronne est une de ces avancées, et a besoin de votre aide!

Les droits d’auteur de la Couronne sont basés sur la prétention du gouvernement selon laquelle les œuvres produites par les fonctionnaires, le Parlement, les ministres ainsi que les ministères et organismes lui appartiennent. Dans sa forme atuelle, ce régime empêche le public d’accéder à une multitude de documents publics produits par le gouvernement. Il existe une solution simple : l’abolir. Une pétition électronique à la Chambre des communes poursuit cet objectif, et prendra fin la semaine prochaine. Nous vous exhortons de la signer.

https://petitions.noscommunes.ca/fr/Petition/Details?Petition=e-1116

Paul Jones

ACCPU / CAUT

Comme de raison, je suis fier de figurer parmi les signataires de cette pétition.

Amérique du Nord Propriété intellectuelle Réforme

L’été, c’est fait pour… consulter

Pour les québécoi.se.s d’un certain âge (dont je fais partie), l’émission pour enfant Passe-Partout est une source intarissable de références culturelles. Tous les poussinots et poussinettes savent que l’été c’est fait pour jouer, sauf ceux et celles des gouvernements du Canada et du Québec, ainsi que les juges du pays, qui décident d’utiliser la belle saison pour nous faire réfléchir et travailler.

Cet été, nous avons droit à deux consultations publiques d’intérêt, l’une du gouvernement fédéral pour l’ALÉNA, et l’autre du gouvernement du Québec sur sa nouvelle politique culturelle. De plus, nos juges ne chôment pas cet été, en plus de la récente décision Google Inc. c. Equustek Solutions Inc. (qui traite d’une injonction imposant à Google de retirer des liens vers du matériel numérique contrefait sur ses serveurs à l’extérieur du Canada), on peut s’attendre à certaines décisions intéressantes (dont celle impliquant l’Université de York et Access Copryright, la société de gestion collective du droit d’auteur au Canada anglais).

Débutons avec la consultation du gouvernement fédéral sur l’accord de livre-échange avec les USA – l’ALÉNA (je traiterai de la consultation pour la nouvelle politique culturelle québécoise dans un autre billet).

Avant tout, l’institut de recherche en politique publique (Canada) diffuse un dossier intitulé « Repenser la politique canadienne sur le droit d’auteur » dans sa revue Options Politiques.

Repenser la politique canadienne sur le droit d’auteur

 

Ce dossier tombe à pic car le gouvernement fédéral consulte les citoyens du pays sur les enjeux découlant du traité de libre échange avec les États-Unis, l’ALÉNA. Le lien entre un accord de libre-échange et la propriété intellectuelle peut sembler ténu, mais la réalité est tout autre. Le droit d’auteur, les brevets et les autres domaines de la propriété intellectuelle édictent des droits de propriété sur du savoir ou des idées. Les États-Unis ont recours aux accords bilatéraux pour lisser les législations d’autres pays en sa faveur. Ironiquement, la première mouture de l’ALÉNA, entrée en vigueur en 1993, édicte un chapitre sur la PI mais fut négociée avant qu’Internet et le numérique ne bouscule les industries culturelles et du savoir. Compte tenu des récriminations du gouvernement Trump contre nos pratiques commerciales, nous auront droit à une négociation difficile.

En fait, plus du trois-quart de nos exportations vont chez nos voisins du sud. Certaines industries, dont le bois d’oeuvre (surtout la matière ligneuse récoltée sur les terres de la couronne que les USA associent à des subventions masquées) et la gestion de l’offre en agriculture (domaines laitiers et céréaliers par exemple) embêtent les américains. Par ailleurs, le Canada figure sur la liste noire des USA concernant la propriété intellectuelle depuis des années. D’ailleurs, l’infatigable blogueur Michael Geist, professeur en droit des TI à l’Université d’Ottawa, propose une série de billets pour décrypter la position américaine sur les questions numériques susceptibles de tomber dans la collimateur des négociations.

En plus des questions de propriété intellectuelle, il est également question de « l’exception culturelle » qui est très chère à nos fournisseurs de contenu, les écrivain.ne.s, les musicien.ne.s et les act.rices.eurs… tout l’appareillage de support à la création et à la diffusion pourrait tomber dans le broyeur américain par le biais de cette négociation…

Ainsi, je suis en train de préparer mes réponses aux questions lancées par le gouvernement fédéral pour préparer les négociations de l’ALÉNA. Je les partagent avec vous pour susciter la réflexion et vous inviter à également contribuer à ce processus démocratique dans la négociation souveraine entre un géant commercial et son voisin parfois complaisant:

 *À votre avis, quelles devraient être les priorités du Gouvernement du Canada dans cette renégociation de l’ALÉNA (ex. enjeux commerciaux, pratiques commerciales)?

Le Canada doit bâtir et maintenir une rhétorique commerciale qui dépasse le simple cadre économique. En ce sens, il est essentiel d’incorporer des modèles ou conceptualisations novateurs basés sur une approche critique et réflexive plus large. À cette fin, il faut introduire de nouvelles théories pour mieux saisir le rôle du droit et de l’économie dans l’organisation de l’activité humaine.

La doxa économique contemporaine se divise en deux pôles intellectuels. D’un côté, l’approche économique dite néoclassique favorise l’analyse transactionnelle des marchés de biens généralement homogènes. De l’autre, l’approche néolibérale élève les marchés comme structure institutionnelle incontournable, voire hégémonique, dans l’organisation sociale et industrielle.  Ces deux approches intellectuelles sont pertinentes surtout lors de l’analyse des interactions compétitives de corporations à l’intérieur d’un marché donné (ou de marchés complémentaires). Elles dominent la rhétorique commerciale de nos voisins.

Par contre, ces théories échouent à la fois sur le plan téléologique et exogène. Rapidement, une analyse téléologique vise à observer la finalité, l’effet d’une politique publique sur la société. L’analyse des facteurs exogènes, quant à elle, observe les facteurs externes à un système social pour comprendre l’interaction entre le système observé et son environnement extérieur. Ainsi, un argument purement économique, qui n’incorpore pas une analyse des asymétries de pouvoir, des risques, des défaillances de marchés ou des externalités, ne mènera pas à des politiques publiques pertinentes, pérennes et évolutives. Outre l’analyse néoinstitutionnelle en économie, les théories pluralistes du droit, les théories des communs de Ostrom ainsi que la sociologie cybernétique offrent des pistes de solutions aux écueils de la pensée traditionnelle en économie.

Ainsi, le Canada doit analyser ses positions commerciales en fonction de ces nouvelles approches théoriques et intellectuelles afin de mieux contextualiser comment les récriminations ou revendications des États-Unis peuvent nous nuire.

*Y a-t-il des éléments de l’ALÉNA qui fonctionnent bien et qui devraient être préservés ou améliorés?

La libre circulation des individus, surtout dans le cadre de leur emploi, est un élément à maintenir et améliorer, dont les visas de travail pour certains secteurs clé dont les technologies de l’information, la santé et les bibliothèques.

*Êtes-vous au courant de pratiques commerciales, de lois ou de règlements aux États-Unis ou au Mexique qui nuisent ou qui pourraient nuire à l’accès au marché pour les produits et services canadiens?

Oui. Dans le domaine culturel, les plateformes de diffusion (Google de Alphabet, Amazon, Facebook, Netflix, iTunes de Apple) ne répondent pas aux besoin des canadiens. Leur opération et leur organisation est basée sur des algorithmes qui n’incorporent pas nos préoccupations sur la découvrabilité de notre culture ainsi que l’équité et la diversité des voix dans l’expression de celle-ci.

 

*Y a-t-il des enjeux que vous aimeriez ajouter dans l’ALÉNA, ou alors des enjeux dont vous ameriez voir la couverture étendue pour refléter l’évolution du commerce depuis l’entrée en vigueur de l’ALÉNA ?

Oui. Internet et les questions des technologies de l’information ont des répercussions juridiques, économiques et sociales. Il est important de protéger nos pratiques, surtout pour maintenir les droits des utilisateurs dans le domaine de la propriété intellectuelle comme les exceptions au droit d’auteur, la liberté d’expression, le financement de la culture (« exception culturelle »), la découvrabilité de notre contenu dans l’univers numérique et le rôle nuisible des plateformes et de leurs algorithmes dans les politiques publiques canadiennes.

De plus, le financement étatique dans l’industrie de la culture et des communication est essentielle à la viabilité des marchés nationaux. Les politiques de nos voisins ne portent pas attention aux externalités négatives et aux défaillances de marchés qui découlent d’une analyse purement économique. La culture est bien plus qu’un marché et nous devons bâtir une rhétorique commerciale en lien avec des théories progressives en économie, en droit et en sociologie.

Autre commentaire:

Les théories favorisant les analyses téléologiques et exogènes sont utiles pour tous les domaines économiques, comme le bois d’oeuvre ou la gestion de l’offre en agriculture. En fait, les ressources naturelles, l’agriculture et l’information, la culture et le savoir sont des domaines analogues de par la nature publique de ces biens dans la théorie économique. Ce que je propose comme approche intellectuelle pour le domaine du patrimoine et de la culture s’applique également pour tous les domaines d’intérêt stratégique pour le Canada.

Commerce et Compagnies Contenu culturel Droits des citoyens Exceptions au droit d'auteur Films Québec Réforme Utilisation équitable

La question des films en bibliothèque et dans les établissements d’enseignement

Une des théories sur laquelle j’ai beaucoup travaillé est de comprendre le rôle des bibliothèques dans le contexte du droit d’auteur. En fait, il s’agit de mon objectif principal de recherche de ma thèse doctorale (que je compte diffuser dans Internet dès ma soutenance – donc dans très peu de temps). Malgré que l’existence des bibliothèques précède de loin la stipulation des premières règles du droit d’auteur (par quelques millénaires en fait), je crois avoir démontré que les bibliothèques constituent des institutions à part entières jouant un rôle socio-économique de premier ordre dans les marchés et systèmes d’oeuvres numériques protégées par le droit d’auteur.

Une évolution organique où diverses institutions (bibliothèques, marchés d’oeuvres, « machine » littéraire et culturelle) convergent et amène l’émergence (ou réification) de nouvelles façon de faire. Cela confirme, entre autre, l’importance des budgets d’acquisitions documentaires des universités, municipalités, hôpitaux, commissions scolaires… mais aussi du rôle essentiel des exceptions au droit d’auteur.

La dualité budget-exceptions amène une relation d’amour-haine (au Québec, du moins) envers les bibliothèques… qui est bien sûr absolument ironique. Comme le soulignait hier l’Association des bibliothèques de recherche du Canada dans une déclaration concernant l’utilisation équitable:

Au cours des douze dernières années, la Cour suprême du Canada a écrit à profusion sur l’utilisation appropriée de l’exception relative à l’utilisation équitable en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, en privilégiant une interprétation « large et équitable ». Cette approche équilibrée de gestion des droits d’auteur a été bien accueillie partout dans le milieu de l’enseignement supérieur et les bibliothèques universitaires canadiennes appliquent la disposition relative à l’utilisation équitable de la Loi sur le droit d’auteur de manière éclairée et responsable.

Les 31 établissements membres de l’Association des bibliothèques de recherche du Canada (ABRC) ont investi 293 millions de dollars dans les ressources en information en 2014-2015, démontrant ainsi leur engagement manifeste à accéder au contenu imprimé et numérique dans la légalité et à rémunérer les détenteurs de droit d’auteur en conséquence.

Oui, les bibliothèques ont droit à des exceptions au droit d’auteur et, oui, elles investissent dans les marchés issus du droit d’auteur. L’ironie, que les titulaires ne semblent pas comprendre, c’est que même si toutes les bibliothèques invoquent les exceptions au droit d’auteur pour opérer leurs services, il sera toujours plus efficace (du point de vue économique et social) pour elles de faire affaire avec les titulaires. Pourquoi? Simple: c’est une question de coût marginal. Le coût pour une institution documentaire d’opérer un service basé sur des exceptions au droit d’auteur de pourra jamais battre le coût marginal de production d’une énième copie (numérique ou non) d’une oeuvre pour le titulaire.

C’est pourquoi il faut concevoir les exceptions du droit d’auteur non pas comme un coût que doit subir le titulaire mais, plutôt comme un investissement dans son oeuvre. Il faut lire la première partie de ma thèse pour voir les sources en théorie économique de ma démonstration… je m’arrête ici car cette longue introduction risque de me détourner de l’objectif premier de ce billet, c’est à dire de l’exception concernant les oeuvres cinématographiques dans un contexte éducatif.

Il se dit beaucoup de choses concernant l’obligation pour les bibliothèques quant à l’acquisition e films pour leur collection. Il s’en dit encore plus concernant la diffusion de films en classe. Depuis l’entrée en vigueur de C-11 qui modernisa la Loi sur le droit d’auteur, les établissements d’enseignements disposent d’une nouvelle exception. Parlons-en, donc, de ces deux points. Et j’en ajoute un troisième, que j’intitule: ce que ferais si j’étais titulaire de droits sur des films pour travailler de concert avec les bibliothèques.

1. Est-ce qu’une bibliothèque est tenue d’acquérir une copie d’un film avec des droits d’exécution au public ?

NON. Une bibliothèque peut simplement commander via son détaillant préféré une copie régulière, grand public, d’un film pour sa collection, une copie usagée même, voire un don. Rien dans la loi sur le droit d’auteur n’impose quelconque obligation quant à l’approvisionnement de films pour sa collection et pour le prêt à ses usagers.

En fait, l’acquisition du livre est règlementé au Québec, pas les films.

Sur la question de la responsabilité civile des bibliothécaires et des institutions documentaires quant à ses services et ses collections, je vous invite à lire l’excellent article de Nicolas Vermeys dans Documentation et bibliothèque :

Auteur : Me Nicolas Vermeys
Titre : Le cadre juridique réservé aux bibliothèques numériques
Revue : Documentation et bibliothèques, Volume 59, numéro 3, juillet-septembre 2013, p. 146-154
URI : http://www.erudit.org/revue/documentation/2013/v59/n3/
DOI : 10.7202/1018844ar

Alors, pourquoi la pratique d’acquérir une version incluant les droits d’exécution au public (à fort coût pour ses maigres budgets) est-elle si répandue parmi les bibliothèques? Simplement parce que les institutions documentaires desservant les communautés des établissements d’enseignements (et il y en a quand même beaucoup) se faisaient souvent demander d’acquérir une copie d’un film avec les droits d’exécution au public (ou en anglais, les public performance rights ou PPR) afin de faciliter la diffusion en classe. Et lentement, mais sûrement, la connaissance formelle d’une chose s’embrouille avec le temps qui court, pour s’obscurcir et devenir coutume ou légende… et on est obligé de consacrer 7 ans de sa vie à faire un doctorat en droit pour pouvoir éclairer ses collègues avec un savoir clair et lumineux (mais ne vous en faites pas pour moi, ce parcours ne fut pas que souffrance !!)

Donc, toute copie de film licite peut être ajoutée à nos collection, droit d’exécution au public ou non. Et elle peut circuler comme bon nous semble. Alors, qu’en est-il de cette nouvelle exception au droit d’auteur ?

2. L’exception pour la diffusion des films en classe

En fait, j’ai travaillé plus de deux ans avec les collègues de l’Association pour la promotion des services documentaires en milieu scolaire (APSDS) pour l’élaboration d’une foire au question sur le droit d’auteur, et on en parle de cette exception. Mais, rien ne vaut la lecture, à tête reposée, notre bonne vieille Loi sur le droit d’auteur !

Êtes-vous prêts ? La voici la fameuse exception, fraichement copiée-collée de mon site préféré de diffusion libre du droit, CanLII.org:

Art. 29.5

Représentations

 Ne constituent pas des violations du droit d’auteur les actes ci-après, s’ils sont accomplis par un établissement d’enseignement ou une personne agissant sous l’autorité de celui-ci, dans les locaux de celui-ci, à des fins pédagogiques et non en vue d’un profit, devant un auditoire formé principalement d’élèves de l’établissement, d’enseignants agissant sous l’autorité de l’établissement ou d’autres personnes qui sont directement responsables de programmes d’études pour cet établissement :

  • a) l’exécution en direct et en public d’une oeuvre, principalement par des élèves de l’établissement;

  • b) l’exécution en public tant de l’enregistrement sonore que de l’oeuvre ou de la prestation qui le constituent, à condition que l’enregistrement ne soit pas un exemplaire contrefait ou que la personne qui l’exécute n’ait aucun motif raisonnable de croire qu’il s’agit d’un exemplaire contrefait;

  • c) l’exécution en public d’une oeuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur lors de leur communication au public par télécommunication;

  • d) l’exécution en public d’une oeuvre cinématographique, à condition que l’oeuvre ne soit pas un exemplaire contrefait ou que la personne qui l’exécute n’ait aucun motif raisonnable de croire qu’il s’agit d’un exemplaire contrefait.

  • 1997, ch. 24, art. 18;
  • 2012, ch. 20, art. 24.

(Nous soulignons)

Constatez que vous pouvez « jouer » un film, de la musique ou montrer une image dans un établissement d’enseignement si les quatre conditions du préambule que j’ai mis en caractère gras, sont présentes. Donc, il faut que ça se passe à l’école, pour l’école, par l’école et pour les élèves et gens de l’école. Et ne pas faire de profits. Et lier le film aux activités pédagogiques. Si vous faites ça, pas de troubles, pas d’autorisation, pas de droit d’exécution au public.

Par contre, si vous voulez organiser une levée de fonds pour une parade de mode en montrant un film récent à l’école, l’exception ne s’applique pas. Il serait difficile de prétendre que l’exécution en public est pour des fins pédagogiques puisque on veut lever des fonds! Par contre, on pourrait vouloir conscientiser la communauté étudiante en diffusant un documentaire récent, faire un panel de discussion avec des intervenants et demander une contribution volontaire aux participants pour faire un don à un organisme local. C’est déjà plus proche de l’objectif pédagogique et on ne vise pas faire un profit (il y a une distinction fondamentale entre des revenus et des profits, mais là, c’est une autre histoire).

3. La solution pour les titulaires: la diffusion en flux (streaming)… et l’innovation technico-légale!

J’entend déjà les titulaires se lamenter : « maudites bibliothèques | écoles | universités qui nous usurpent nos oeuvres et attaquent nos maigres revenus !  Encore l’État qui prend mon bien ! » Il ne faut pas prêter oreille à de telles jérémiades. Je vous offre cette formule lapidaire car cette position, trop répandue au Québec, démontre un manque absurde de nuance et une incompréhension du le potentiel économique de l’intervention des institutions sociales. En pâtit la valeur de l’oeuvre et notre richesse collective.

Constatez ces mots: valeur et richesse. En économie (néolibérale classique), la valeur d’un bien découle directement de son prix dans un marché équilibré, lire ici de commodités parfaites. La richesse est un concept plus large, qui évoque le potentiel économique d’un bien. Si le français offre une nuance aux concepts de libre et de gratuit, qui rend jaloux les anglophones de la communauté des logiciels et de la culture libre, la langue anglaise offre une distinction fondamentale entre value et wealth – que je traduit imparfaitement par valeur et richesse.

L’idée fondamentale est que l’oeuvre protégée par le droit d’auteur est un bien économique très particulier. Il épouse les caractéristiques économiques d’un bien public (non-rival et non-exclusif), ce qui implique que son coût de reproduction est quasiment nul et qu’un marché peut difficilement émerger. D’où l’importance du droit d’auteur et, en tant que capitaliste pragmatique mais voué à l’économie sociale, j’y crois dur comme fer au droit d’auteur. Mais l’analyse économique ne s’arrête pas là.

Outre les problèmes de l’émergence de marchés et l’élaboration des prix, les oeuvres protégées par le droit d’auteur sont aussi des biens d’expérience (Bomsel). Il faut voir un film pour savoir s’il est bon. Tous ces paramètres font que, dans un contexte d’émergence de marché, il est difficile pour le consommateur d’établir ses préférences et d’attribuer une valeur à une oeuvre (Yoo). Le titulaire peut le faire (prix = coût marginal de production + beurre pour haricots) tandis que, dans un contexte de biens publics et d’expérience, le consommateur peine à déterminer si le prix en vaut la chandelle. Si l’on ne peut établir un prix en tant qu’acheteur, et bien, pas de valeur, pas de marché, pas de richesse. Et on ignore et on oublie notre culture.

Il s’agit que, fut un certain temps et dans un autre contexte socio-économique (Outlet), ce combat contre cette spirale désastreuse de l’ignorance et l’oubli se nommait bibliothéconomie (un terme que j’affectionne beaucoup). On parle maintenant de sciences de l’information mais on néglige nous-même nos racines.

Mon analyse (personnelle cette fois, je n’en parle pas dans ma thèse) me porte à croire que nos élites culturelles, elles-mêmes qui réclament l’intervention de l’état pour soutenir leurs créations et qui lancent au brancard les outils socioéconomiques fins des exceptions au droit d’auteur, nuisent le plus au rayonnement de notre culture ! Leur message s’embrouille dans une quête de rentes de l’État sans réellement comprendre les dynamiques inhérentes à l’émergence de ce qu’elles demandent réellement : la juste valeur pour leurs labeurs.

Comment, donc, sortir de ce vortex socioéconomique malsain ? En réalité, il faut résoudre l’équation économique bien-public / bien -privé et expliquer clairement comment les institutions documentaires génèrent de la richesse sociale à partir des oeuvres de notre patrimoine, à leur juste valeur. (en fait, je pense bien que je vais devoir écrire un essai là dessus, le format du carnet ou de la thèse doctorale ne mène pas à des discussions pertinentes). La réponse immédiate est plus simple: il faut comprendre que ce que font les bibliothèques dans le cadre des exceptions est en réalité une exploration de ce que pourraient devenir les marchés de demain.

Donc, si j’étais titulaire d’oeuvres, je numériserai mon corpus (en faisant payer les bibliothèques/l’état/donateur pour ça) et j’imaginerai une offre par bouquets de collections où l’accès à un corpus d’oeuvres et les droits d’utilisations sont imbriquées. La formule est la suivante:

Richesse_bibliothéconomique =

Corpus_documentaire ( accès_numérique + contrat_utilisation )

Ou, plus simplement, offrez des contrats flexibles et des corpus numériques aux bibliothèques et vous vendrez plus de livres et de films à long terme. C’est le pari vertueux de la bibliothéconomie moderne pour éviter le vortex faustien d’un capitaliste miope.

Et hop, comme par magie, dans une génération ou deux, vous allez voir émerger des marchés foisonnants de culture québécoise. Mais, le capitaliste titulaire myope se posera sûrement la question suivante: si les bibliothèques offrent un accès numérique à mes oeuvres, comment est-ce que je pourrai en vendre ? L’ironie est que les québécois qui fréquentent le plus les bibliothèques sont aussi ceux qui dépensent le plus en livres !

(Mince alors, j’ai souvenir que BAnQ a effectué une étude démontrant que les québécois qui fréquentent le plus leur bibliothèques sont aussi ceux – celles en fait – qui dépensent le plus en livres – mais je ne retrace pas cette étude – y a-t-il une bibliothécaire dans la salle?)

Voilà la clé secrète de la voûte de la richesse : la culture est un bien économique dit public. Pensez à de la drogue plutôt qu’à du pain : plus on en consomme, plus on en veut. La satiété est un concept pour un bien privé de consommation. Il suffit donc de réfléchir à un contexte pour que le bien d’expérience – le même que celui du corpus de la bibliothèque numérique – recouvre une nouvelle valeur… tout est dans le design ou l’élaboration des paramètres technico-juridique (interface web, application pour tablette, contrats flexibles).

Par exemple, serait-il possible pour les administrateurs du projet Éléphant d’offrir une licence pour les collectivités pour que nos écoles et nos bibliothèques puissent faire découvrir notre cinéma patrimonial à tous ? S’il vous plaît !

Mon but est donc de bâtir un tel système juridico-technologique pour la diffusion d’oeuvres numériques protégées par le droit d’auteur aux bibliothèques, malgré ou (en dépit!) des jérémiades que j’entend !

 
Bibliographie
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Le droit soluble : contributions québécoises à l’étude de l’internormativité, Paris, L.G.D.J., 1996

BOMSEL, O., Gratuit! : du déploiement de l’économie numérique, coll. «Collection Folio/actuel ;; 128; Variation: Collection Folio/actuel ;; 128.», Paris, Gallimard, 2007

L’économie immatérielle, coll. «NRF essais,; Variation: NRF essais.», Paris, Gallimard, 2010

LANDES, W.M. et R.A. POSNER, The economic structure of Intellectual Property Law, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 2003

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BELLEY, J.-G., «Le contrat comme vecteur du pluralisme juridique» dans OST, F. et M. VAN DE KERCHOVE (dir.), Le système juridique entre ordre et désordre, 13, Paris, Presses Universitaires de France, 1989, p. 181-185

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YOO, C.S., «Copyright and Public Good Economics: A Misunderstood Relation», (2007) 155 University of Pennsylvania Law Review

Logiciel à code source libre Montréal Numérisation Programmeurs Réforme

Nous cherchons : bidouilleurs et amoureux des nouvelles technologies

Je suis heureux d’annoncer que mon employeur, l’Université Concordia, est à la recherche de deux candidats exceptionnels pour réfléchir à comment la technologie peut servir la mission des bibliothèques:

Il faut comprendre « technologue » plutôt que technicien, quoi que je dois vous faire part de ma surprise de voir qu’ils demandent un bacc en génie ou informatique pour ce genre d’emploi… en fait, rien n’aurait d’égal un excellent et passionné technicien(ne) en documentation qui bidouille les technologies émergentes !

Voici un test très simple à effectuer si vous désirez savoir si cet emploi est pour vous. Considérer la liste de terme suivants:

living labs ; maker space ; bibliothèque ; coworking

Si vous ne voyez pas d’intrus dans la liste d’expressions, vous devez appliquer, surtout si vous avez déjà joué avec des raspberry pi, des matrices arduino, etc. Constatez la belle place donnée aux technologies émergentes, citoyennes et à code source libre !

D’ailleurs, je suis absolument ravi d’apprendre que la Ville de Montréal, le gouvernement du Québec et la BAnQ – Grande Bibliothèque ont renouvelé leur entente cadre qui vise à transformer la délicieuse bibliothèque St-Sulpice en institution vouée aux adolescents et à l’innovation. Laissée à l’abandon depuis des années, ces intervenants ont annoncé en février que le resplendissant édifice aura une nouvelle vie.

Ainsi, nos deux offres d’emploi sont en lien avec de désir de s’approprier les nouvelles technologies et cette offre est une opportunité de façonner notre avenir numérique.

PS. je ne suis pas membre du comité de sélection, alors je n’ai que des informations extérieures au processus de dotation.

Commerce et Compagnies Montréal Non classé Radio, télévision Réforme

Au revoir, téléphone public

 

Je travaille à la bibliothèque du centre-ville de l’Université Concordia et la marche matinale qui m’amène au bureau passe par la même porte… Mais ce matin j’ai constaté une mutation de mon environnement physique à cause du numérique: la banque de téléphones publics sous l’escalier qui mène à la bibliothèque n’est plus encombré par des téléphones publics. Il y en avait jadis près d’une vingtaine mais ils sont de plus en plus vacants et ce matin… Il n’en resque de deux.

Encore une technologie à la potence de la modernité ! (Tiens: avez-vous un meilleur calembour avec les deux sens de potence – comme support et comme outil de torture?) 

Archives Bibliothèques Gouvernance Réforme Revendication Utilisation équitable

Les exceptions pour bibliothèques à l'OMPI

Le groupe Knowledge Ecology International propose un billet très intéressant sur les débats à venir au sein de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Les bibliothèques et les archives de notre belle planète bleue revendiquent un traité international concernant les exceptions et limitations au droit d’auteur.

Et bien sûr, cette initiative se présente comme le Pew Center découvre que les bibliothèques publiques aux USA sont mieux perçues que le Baseball, le Congrès… et la tarte aux pommes !

Bibliothèque nationale BL Droit d'auteur Europe Exceptions au droit d'auteur Livre et édition Préservation Réforme Utilisation équitable

L'Europe consulte, numérise

La Commission européenne a lancé hier une ronde de consultations pour la réforme du droit d’auteur de son « marché intérieur » – visant surtout à récolter des commentaires sur la Communication sur le contenu dans le marché unique numérique (IP/12/1394).

Au menu, selon le communiqué de presse, la consultation s’oriente autour de la territorialité dans le marché intérieur, l’harmonisation du droit d’auteur, les limites et exceptions au droit d’auteur à l’ère numérique et les moyens d’améliorer l’efficacité et l’efficience des mesures visant à assurer le respect de ce droit, tout en renforçant la légitimité de ces mesures dans le contexte plus large de la réforme du droit d’auteur.

Le document d’une trentaine de pages se présente comme une série de questions afin de récupérer les positions des concernés. Il faut dire que ledit document (format PDF ou MS Word, en anglais uniquement) laisse une large place aux exceptions et limitations au droit d’auteur (p.19-31), dont les questions sont d’importance capitale pour les institutions documentaires.

(Merci à Florence Piron pour le tuyau)

Déjà, le grand patron de la prestigieuse British Library signe une lettre dans le New Statesman invoquant le besoin de flexibilité dans le cadre règlementaire du droit d’auteur.

Cette intervention survient de concert avec l’annonce de la bibliothèque nationale de Norvège qu’elle numérisera TOUT les livres en norvégien (voir aussi ce billet de Fabien Deglise du Devoir). Il est intéressant de noter que les pays scandinaves ont innovés en matière du droit d’auteur en proposant des «licences étendues» où toute oeuvre participe par défaut à un régime de gestion collective.

Ce régime s’oppose à la gestion collective sur nos rives, où le titulaire doit (essentiellement ou inter alia) inscrire son oeuvre au registre. La participation par défaut de la licence étendue facilite grandement le travail de numérisation des institutions.