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Induction ou déduction ?

Quelle est la source d’une découverte scientifique? Ou plutôt, comment prétendre à la découverte scientifique? La question est méthodologique, bien sûr, mais se pose surtout au chercheur pour savoir comment il approche son sujet.

Je dois avouer apprécier l’approche constructiviste. Il s’agit de tenter d’exprimer en modèle la compréhension que nous avons d’une situation. Villa propose d’ailleurs que le rôle du juriste constructiviste, qu’il oppose au descriptiviste, permet de

«reconstruire le champ d’expérience juridique qui part invariablement d’un schéma conceptuel implicitement ou explicitement prédéterminé»

Mon appréciation de cette méthode provient sans aucun doute de ma formation en commerce lors de mon premier cycle. Une des prémisse de base du monde des affaires est que l’on peut trouver de la valeur dans une nouvelle compréhension d’un marché. Il importe donc de tenter d’en explorer les modalités afin de tenter de déceler où l’entrepreneur peut avoir un impact. C’est pour cela que je tente souvent de proposer de nouveaux modèles synthétiques, qui me sont propres, face à une question qui m’intéresse. Cette position me semble naturelle.

Le texte de Von Glasersfeld vient bousculer la certitude dont je témoigne au paragraphe précédent. Il peut y avoir un gouffre entre ce que je connais et une réalité dite «absolue» et abstraite. Cette distinction vient bousculer la confiance en nos moyens dont mes professeurs de gestion nous ont inculqués lors de mon passage à au premier cycle. Il est toujours possible de prétendre au constructivisme, qu’il soit radical ou non, mais l’écueil de l’assurance doit être évité !

Ceci dit, la distinction entre l’induction et la déduction me fait réfléchir dans le contexte du constructivisme. En effet, Popper fait l’éloge de la «méthode déductive de contrôle» – c’est à dire de poser des théories générales et de procéder à la validation de celles-ci par l’expérimentation. En effet, Popper précise que l’induction (observation de phénomènes corrélatifs ou causaux afin de poser des théories) mène à plusieurs problèmes, dont celui que la science se base sur les probabilités pour exister mais aussi que l’induction peut mener à une régression à l’infini des théorèmes scientifiques. La déduction est donc à privilégier.

Finalement, Gingras propose une belle synthèse de ces questions. Les sources de connaissance sont (1.1) la pratique, l’expérience et l’observation (empirisme) ; (1.2) l’intuition ; (1.3) le raisonnement (ou surviennent l’induction et la déduction) ; et (1.4) la tradition, l’autorité et la mode. Ensuite, la science doit être reproductible, se base sur les «savants» (pairs), impose le «doute méthodique» de Descartes et est assujettie à des contraintes (état des connaissances, «certitude» du sens commun, valeurs personnelles et sociales, demande sociale). Finalement, la science explore les phénomènes sociaux et humains et doit résoudre la tension entre son objet d’étude (la guerre) et le sujet d’étude (l’humain) – c’est pourquoi l’objectivisme des sciences pures (et sa variante en sciences sociales) s’oppose au subjectivisme.

Je dois avouer que ces textes me laissent songeur. En particulier, mon statut professionnel de bibliothécaire implique une prédisposition aux valeurs de mon milieu – importance de l’accès au savoir et d’assurer sa préservation. En général, on peut l’associer à l’utilitarisme de Bentham – maximiser le bien commun.

Il est de plus en plus évident que cette approche professionnelle s’oppose à l’intérêt économique du détenteur d’un droit d’auteur. En effet, cet agent économique «lucide» tentera d’exercer le plein pouvoir de son monopole. Il s’en suit donc une tension, un paradoxe de l’information.

Malheureusement, je ne peux pas me prétendre impartial dans ce débat. Ce constat me laisse un peu incertain sur le rôle de mon travail de doctorat. En effet, je dois faire attention à ne pas me laisser emporter par mes émotions dans l’élaboration de mon projet. La rigueur et l’objectivité sont de mise.

En ce sens, l’induction semble une méthodologie dangereuse, puisque mon esprit peut être porté à retenir les faits qui se conforment à mes valeurs et à rejeter les autres. Si je suis moi-même le «thermomètre» pour évaluer l’évolution calorique d’une situation, comme le dicte une certaine approche de l’induction, je dois prendre grand soin de donner la juste valeur à chaque fait observé.

Peut-être serait-il plus prudent de procéder par déduction? Encore ici, l’établissement des hypothèses générales peut se faire selon le même biais. Je crois qu’à ce niveau, l’apport de mes collègues et de mon directeur sera de la plus grande assistance !

BIBLIOGRAPHIE
Egon GUBA, « The Alternative Paradigm Dialog », dans Egon GUBA (Ed.), The Paradig Dialog, Newbury Park, Sage Publ., 1990. p. 17 à 27

Vittorio VILLA, « La science juridique entre descriptivisme et constructivisme », dans Paul AMSELEK, Théorie du droit et science, Paris, PUF, 1994, p. 288 à 291

Ernst Von Glasersfelf, « Introduction à un constructivisme radical », dans Paul WATZLAWICK, L’invention de la réalité – Comment savons-nous ce que nous croyons savoir?, Paris, Éditions du Seuil, 1988, p. 19-42

Karl. R. POPPER, La logique de la découverte scientifique, Bibliothèque scientifique Payot, 1973, p. 23-45

François-Pierre GINGRAS, « La sociologie de la connaissance », dans Benoît GAUTHIER (dir.), Recherche sociale – De la problématique à la collecte des données, Presses de l’Université du Québec, 1997, pp. 19-48

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Notes de cours – méthodologie

Ce billet découle de la relecture des notes prises dans le cours DRT-7002 ce lundi 11 janvier 2010, Hiver 2010 [Séminaire de thèse, prof. Louise Rolland]

Le séminaire de thèse propose deux volets. D’un côté, il alimente la réflexion sur la recherche et la méthode de production de la connaissance. De l’autre, il offre un apprentissage de la démarche pour l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet de recherche. En fait, il persiste un doute en amont, par rapport à la pertinence, la méthode, les données et leur structure, ainsi que la rédaction du rapport final. Ce séminaire permet de mettre en commun l’apprentissage de la thèse.

Il existe plusieurs «recettes» pour la rédaction de thèses, mais une des seules provenant purement du domaine du droit, celle de Simone Dreyfus intitulée «La These Et Le Memoire De Doctorat En Droit» repose sur l’élaboration de fiches papier. Il semble que le droit pourrait bénéficier d’un vadé-mécum méthodologique pour le thèsard néophyte.

La recherche scientifique
Les buts des chercheurs sont variés: systématisation de la connaissance (la «doctrine» en droit) ; critiquer ; élaboration d’une théorie fédérative. En fait, la recherche réduit l’incertitude sur un sujet. Comment démarquer la «science» de ce qui ne l’est pas? Dans le domaine des sciences «dures», l’approche est systématique et il persiste un impératif de reproductibilité. Du côté des sciences «sociales» ou «molles» (sic), la qualité intellectuelle du chercheur prime: prise de conscience du rôle du chercheur, documenter méthodologie, recherche bibliographique approfondie…

Historiquement, il apparaît une confusion entre la science d’un côté et de l’autre: la magie, la religion, l’argumentation. Plusieurs penseurs ont eu un impact important dans l’évolution des sciences: Platon prétend que la science est l’intersection entre la croyance et la vérité ; Aristote quant à lui introduit le principe de causalité ; Épicure retient la méthode crédible avec réfutabilité. La renaissance amène un renouveau : les scientifiques mesurent grâce à de nouveaux outils ; l’impression mécanique et la diffusion des idées se heurtent au dogme de la religion ; apparaissent l’individualisme, le relationisme et l’observation directe. Par ailleurs, les travaux de Galliléo mènent à une situation où deux théories (contradictoires) peuvent co-exister en même temps et animer les discussions ; Descartes pose le raisonnement hypothético-théorique ; Pascal propose de nouveaux outils statistiques ; Newton introduit la chaîne de causalité, sans oublier le rôle de Diderot et des encyclopédistes dans l’institutionnalisation des sciences. Somme toute, la science s’affranchit de la métaphysique.

L’ouvrage de KUHN explore l’accréditation d’une théorie, aussi appelé paradigme (ou modèle, schéma), qui domine les autres dans un domaine. Selon Kuhn, une/la «science normale» repose sur des cadres théoriques, des questions fondamentales, des «critères de scienticité», théories, méthodes reconnues. Une «révolution scientifique» est un événement d’un domaine où un groupe de chercheurs remettent en question des paradigmes de la science normale.

Typologie de la recherche
Recherche fondamentale : acquisition de connaissances ; meilleure compréhension du monde. Soit théorique ou empirique :
– Recherche empirique : utilise des faits, la méthode inductive, elle est soit vérificatoire ou factuelle
– Recherche théorique : logico-déductive ; utilise des concepts existants pour analyser une question ; pour préciser un concept ; pour une organisation conceptuelle (effort de synthèse ou nouveau concepts) ; pour élaborer une nouvelle théorie – qui s’avère être l’œuvre d’une vie!

Recherche appliquée : généralement une «commande» payante pour étudier un problème ponctuel ; dont les résultats sont à court terme (p.ex.: résultats des politiques publiques ; informatisation des registres de droits fonciers….)

BIBLIOGRAPHIE
Simone DREYFUS, La These Et Le Memoire De Doctorat En Droit, COLIN, 1971
Thomas S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1972, p. 25-51 et p. 115-135

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Le droit d'auteur en réseau ?

La lecture du texte de F. OST et M. Van de Kerchove (De la pyramide au réseau? – Pour une théorie dialectique du droit, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2002) propose une piste méthodologique très pertinente pour mon projet de thèse. Il faut le rappeler, ma thèse traite du rôle des bibliothèques dans le contexte d’œuvres numériques protégées par le droit d’auteur. L’angle d’attaque précis de ma thèse évolue au fil de mes lectures.

Pour sa part, le concept proposé de «réseau» comme analogie fondatrice du droit offre une alternative au positivisme qui me semble salutaire. Considérer l’État comme seule source du droit comme l’impose le positivisme, qu’il s’agisse de l’organe exécutive, législative ou judiciaire de Montesquieu, ne permettait pas d’évoquer la complexité du système qui est mis en place par le droit d’auteur.

Certes, la loi édicte les paramètres globaux qui régissent les œuvres protégées (monopole du titulaire, durée, possession, transfert, limitations et exceptions, sanctions, etc.) mais la réalité est que ces dispositions ne témoignent pas du rôle des acteurs du marché du droit d’auteur. En effet, il s’agit bien plus d’un régime économique dont les acteurs ont un rôle primordial.

Pensons simplement à Google : cette multinationale de la recherche web décide de mettre en place un programme de numérisation de livres en se basant sur le fair use. Afin de faire taire les critiques, Google tente de régler un recours collectif dans lequel il obtiendrait les droits de diffusions et vente sur le territoire des USA. Google se base sur la loi américaine du droit d’auteur pour son projet, mais l’impact réel – et plus pertinent – relève des enjeux économiques.

Ainsi, ce que Ost et Van de Kerchove appellent l’approche «pyramidale» (où une réglementation (positivisme) émane du Gouvernement ou État) – à la Kelsen – ne me laisse pas présupposer une approche intéressante pour mon projet de doctorat. Par contre, le point de vue du «réseau» (où la régulation par codes volontaires; standardisation; bonne conduite et pratiques; éthique mènent à une gouvernance en ce sens que l’autorité est dissociée du pouvoir et la consultation des concernés est source de droit) offre un outil flexible pour témoigner du rôle des bibliothèque dans le marché de l’information.

Mais quel est ce rôle, justement ? Comment exprimer ce que font les bibliothèques dans les marchés de l’information. Et surtout, comment témoigner dans une thèse en droit de ce rôle ? Des questions méthodologiques très pertinentes qui seront à traiter en priorité dans les semaines à suivre… Mais déjà, le séminaire sur l’analyse économique du droit (qui a débuté la semaine dernière) promet d’exposer des outils analytiques très pertinents. J’espère pouvoir revenir sur ce point dès que les thèmes pertinents seront exposés (nous traitons de la propriété intellectuelle le 4 février prochain).

ABRC CARL Document numérique Rapport et étude

Exploiter les données de recherche

L’Association des bibliothèques de recherche du Canada (CARL-ABRC) annonce la publication d’une trousse de sensibilisation à la gestion des données :

Les données sont des atouts précieux qui, dans certains cas, offrent un nombre illimité de possibilités de réutilisation. La trousse de sensibilisation fait ressortir la nécessité de veiller à ce que les données de recherche soient gérées pendant tout leur cycle de vie afin qu’elles soient compréhensibles et utilisables.

« C’est un document très actuel, déclare Marnie Swanson (University of Victoria), présidente du Sous-comité sur la gestion des données de l’ABRC. Plus que jamais, les données constituent un élément essentiel de la recherche et cette trousse aidera les bibliothèques à sensibiliser les chercheurs à l’importance de la gérance des données. »

Intitulée Les données de recherche : un potentiel insoupçonné, cette trousse est disponible via le site de l’ABRC.

Aussi, Clifford Lynch, directeur de la Coalition for networked information (CNI) des USA, propose ces liens au sujet des données de recherche:

There’s an interesting report available for downloading from the Aspen Institute titled « The Promise and Peril of Big Data », summarizing a workshop the Institute held in 2009. This can be found at

http://www.aspeninstitute.org/publications/promise-peril-big-data

This report explores some of the same issues discussed in Microsoft’s
recent book « The Fourth Paradigm: Data-Intensive Scientific Discovery » which I posted about earlier, and which can be found at

http://research.microsoft.com/en-us/collaboration/fourthparadigm/

but at a less technical level, and also looks more broadly at implications beyond the sciences.

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Analyse du texte «De la pyramide au réseau?»

DRT 7002, prof. Louise Rolland, Hiver 2010, Université de Montréal
Dans le texte de F. OST et M. Van de Kerchove (De la pyramide au réseau? – Pour une théorie dialectique du droit, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2002), les auteurs font état d’une « révolution scientifique » au sens où l’emploie Kuhn : un nouveau paradigme –le réseau—tend à remplacer le paradigme jusque-là dominant –la pyramide.
Quels sont les effets de ce changement de paradigme ?
• Sur l’ontologie du droit (qu’est-ce que le droit?) ?
• Sur l’épistémologie du droit (comment connaît-on le droit?) ?
Pour chacun de paradigmes, quels sont :
• Les postulats (les présupposés) ?
• Les concepts dominants ?
• Les questions de recherche ?
• Les hypothèses générales de recherche ?

Quels sont les effets de ce changement de paradigme :
• Sur l’ontologie du droit (qu’est-ce que le droit?) ?

(p. 14) «Avec le réseau, l’État cesse d’être le foyer unique de la souveraineté (celle-ci ne se déploie pas seulement à d’autres échelles entre pouvoirs publics infra et supra-étatiques, elle se redistribue également entre de puissants pouvoirs privés); la volonté du législateur cesse d’être reçue comme un dogme (on ne l’admet plus que sous conditions, qu’au terme de procédures complexes d’évaluation tant en amont qu’en aval de l’édiction des lois); les frontières du fait et du droit se brouillent; les pouvoirs interagissent (les juges deviennent co-auteurs de la loi et des subdélégations du pouvoir normatif, en principe interdites, se multiplient); les systèmes juridiques (et, plus largement, les systèmes normatifs) s’enchevêtrent; la connaissance du droit, qui revendiquait hier sa pureté méthodologique (mono-disciplinarité) se décline aujourd’hui sur le mode interdisciplinaire et résulte plus de l’expérience contextualisé (learning process) que d’axiomes à priori ; la justice, enfin, que le modèle pyramidal entendait ramener aux hiérarchies de valeurs fixées dans la loi, s’appréhende aujourd’hui en termes de balances d’intérêt et d’équilibrations de valeurs aussi diverses que variables.

• Sur l’épistémologie du droit (comment connaît-on le droit?) ?
Trois anomalies s’observent actuellement : (1) les «hiérarchies enchevêtrées» ; (2) les «objets juridiques non-identifiés» («autorités administratives indépendantes») ; et (3) multiplication des concepts hybrides : souverainetés «partagées» ou «relatives», citoyennetés multiples ou «fragmentées», validité conditionnelle et provisoirenormes juridiques, rationalité «limitée».
Ces anomalies mènent à un questionnement de la conception hiérarchique des sources du droit et tend à le concevoir en réseau.

Pour chacun de paradigmes [le modèle pyramidal (hiérarchique) et le modèle en réseau], quels sont :

• Les postulats (les présupposés) ?
PYRAMIDAL :

(p. 18) «le modèle pyramidal repose sur une ontologie substantialiste et mécaniciste, ainsi que sur une métaphysique du sujet : le monde simple et mécanique, centré sur la figure de l’individu, le monde de la rationalité occidentale moderne dont Hobbes et descartes constituent deux représentants éminents»

RÉSEAU :

(p. 18) «le modèle du réseau relève, quant à lui, d’une ontologie relationnelle et cybernétique, liée à une pragmatique de l’intersubjectivité et de la communication : monde complexe et récursif de l’interactivité généralisée dont in commence seulement à découvrir la grammaire.»

• Les concepts dominants ?
PYRAMIDAL : Réglementation (positivisme) par le Gouvernement (État)
RÉSEAU : Régulation (codes volontaires; standardisation; bonne conduite et pratiques; éthique…) par la gouvernance (selon l’autorité… pouvoir?; la consultation des concernés)

• Les questions de recherche ?

Réglementation vers la Régulation (voir p.28) :

  • «Ne continue-t-on pas encore à postuler un régulateur central capable de maintenir en équilibre un système, lui-même nettement distingué de son environnement?»
  • «Est-on certain que l’on puisse toujours prêter aux pouvoirs publics, aussi stratèges soient-ils, des desseins aussi clairs, et surtout la capacité de les réaliser?»

Gouvernement vers la gouvernance (voir p. 30-32) :

  • Spécificité du politique («Que reste-t-il de l’impérium d’un État qui se fait animateur ou stratège?»)
  • Mécanismes de coordination horizontale et de «gouvernementalité» («comment, en l’absence d’un régulateur central, penser néamoins une action collective dotée d’un minimum d’institutionnalisation et de cohérence?»)
  • Légitimité (que deviennent les garanties de l’État de droit?)

• Les hypothèses générales de recherche ?
La dialectique entre les théories de la pyramide et le réseau est la meilleure façon d’explorer cette question.

La pensée dialectique résiste à cet embrigadement réducteur [de choisir l’un camp ou l’autre] et invite à un changement de regard : et si la vérité tenait dans la tension des deux pôles (plutôt que dans le choix de l’un ou de l’autre), dans leur solidarité conflictuelle et leur intime articulation – comme si, à raison même de leur opposition, ils tentaient ensemble de dire quelque chose de la colplexité d’un réel qui ne se réduit ni à ;’un ni à l’autre ? (p. 37)

Par ailleurs, les auteurs posent que l’«interaction entre les trois pôles de la validité (légalité, effectivité, légitimité)» relève d’une considération qui anime leur travail.

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Vadé-mécum de l'écriture d'une thèse

Rapport de lecture dans le cadre du cours DRT-7002, Hiver 2010
François OST, La thèse de doctorat : du projet à la soutenance, conférence prononcée le 17 février 2006 à l’occasion du séminaire d’ouverture de l’École doctorale en sciences juridiques de la Communauté française de Belgique [recueil de lectures du Séminaire de thèse, prof. Louise Rolland]

Professeur Ost propose un texte exposant les considérations importantes en amont du projet de thèse de doctorat. Le doctorat ne garantie pas une nomination académique, tout en nécessitant un travail approfondi de plusieurs années. Le choix du sujet et du promoteur (directeur de thèse) auront un impact majeur sur l’évolution de la carrière du doctorant. La motivation, qu’elle soit empreinte de passion, de travail acharné ou mesuré ainsi que de méthode, relève d’un choix personnel et l’on doit l’accepter.

Au sujet de la méthode, le prof. Ost insiste que les doctorants compilent des notes de lectures au fur et à mesure qu’elles sont effectuées. Spécifiquement, elles doivent contenir : (1) une indication bibliographique précise ; (2) une date de lecture (puisque les idées évoluent avec le temps) ; (3) des résumés télégraphiques de la thèse de l’auteur et de nos réflexions/réactions ; (4) un résumé rigoureux, incluant des citations d’importance dans le texte ; et (5) un système de notation et de repérage (catégorisation). L’accumulation de ces fiches permettent de voir l’évolution de sa réflexion, de faciliter l’écriture en aval et de confronter ses idées avec celles des chercheurs du domaine.

Par ailleurs, le doctorant en droit doit réfléchir au rôle du positivisme dans sa thèse (le positivisme consiste à établir sa conception du droit à ce qui est posé par le législateur). En fait, prof. Ost (p.13) se base sur les travaux de Kuhn (1972) dans son analyse de l’évolution des paradigmes scientifiques :

Je pense que cette théorie des paradigmes [de Kuhn] fournit un cadre des plus précieux pour la recherche juridique. Dans chaque cas, il s’agira :
1. d’identifier le système dominant d’idées dans un domaine (définir les contours du paradigme) ;
2. de repérer les éventuelles «anomalies» qui pourraient montrer les limites du cadre explicatif du paradigme, voire l’infirmer ;
3. d’identifier les éventuelles réactions de la doctrine (juges, législateurs…) face à ces anomalies, et les évaluer ;
4. de prendre position sur l’aptitude du paradigme à résister à cette mise en question ou sur la nécessité de lui substituer un cadre théorique plus englobant et donc plus explicatif.

Prof. Ost propose également que l’interdisciplinarité est à privilégier, puisqu’elle prend «la forme d’un patient dialogue coopératif progressant par essais et erreurs, tâtonnement et ajustements progressifs» (p. 19). La pluri- (ou multi-) disciplinarité ne fait que juxtaposer et la transdisciplinarité, une hybridation des méthodes qui leur retire leur autonomie et leur spécificité.
Après la thèse, il faut en parler le plus possible. L’objectif du doctorat est de confirmer le candidat dans un domaine unique comme expert. Il serait absurde de ne pas exploiter cette nouvelle réalité professionnelle comme un actif à haute valeur.

En annexe, prof. Ost propose une longue citation du texte:

Ost et van de Kerchove, «La doctrine entre « faire savoir » et « savoir faire »», dans Annales de droit de Louvain, 1/1997, p.31-55

La doctrine (« écrits à propos du droit ») subit divers changements, soit (1) son accélération ; (2) sa spécialisation ; (3) la surinformation ; (4)la consultation (le fait de devoir « vendre » sa théorie à des acteurs politiques risque de vicier le rôle de l’académique) ; et (5) hétérogénéisation des acteurs et dilution du champ juridique.

BIBLIOGRAPHIE
Thomas S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1972, p. 25-51 et p. 115-135

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Le silence du doctorant

Le doctorat, nous le savons tous, est une épreuve académique de longue haleine empreinte de sacrifice et de réflexion personnelle. Depuis l’automne 2009, Olivier Charbonneau, le rédacteur en chef (et seul contributeur) de CultureLibre.ca s’est lancé dans cette folle aventure et manifestement, ceci aura un impact certain sur l’évolution de ce carnet.

À l’origine, l’objectif de ce carnet était double : de créer un outil de gestion de l’information sur les sujets de recherche touchant au droit de la vie numérique (droit d’auteur, vie privée, liberté d’expression, etc.) mais aussi d’explorer le monde des blogues dans un contexte institutionnel et académique. Face au projet de doctorat, il va sans dire que cet objectif risque de changer sensiblement dans les mois à venir. Nous tenons à vous en avertir en amont, afin de souligner officiellement et proactivement le changement de ton.

En effet, nous comptons toujours nourrir ce carnet, mais il sera de plus en plus vu comme un outil au service du projet de doctorat, plutôt qu’un organe pour diffuser des nouvelles de l’actualité de la Culture Libre. Depuis quelques mois, il est difficile de maintenir la cadence d’autrefois et les billets prospectifs s’accumulent au rythme des lectures académiques à effectuer. C’est pourquoi il est nécessaire de marquer un temps d’arrêt – un changement de cap – qui risque de porter préjudice à la pertinence de ce carnet pour beaucoup de nos lecteurs.

La popularité ne figurait pas au menu lors de la création de cet outil, mais elle a certainement nourrit la motivation (compulsion) de le tenir à jour dans les années qui ont suivi. Malgré nos prétentions, elle est devenue un facteur de plus en plus important dans l’évolution du projet CultureLibre.ca. Il s’agit là d’un sacrifice nécessaire à la bonne conduite du projet de doctorat, à la sanité de ce doctorant et à la survie de sa vie personnelle.

Ainsi, nous allons recentrer nos billets sur le sujet précis de notre thèse (qui est en cours de définition, mais vous y reviendrons) tout en portant un regard plus éphémère sur les sujets d’actualité. Nous anticipons que ce carnet sera l’endroit idéal pour consigner les résumés ou fiche des lectures, ce qui risque d’en intéresser plusieurs. Également, nous y lancerons des réflexions plus poussées sur, dans un premier temps, l’élaboration de la thèse puis éventuellement dans son articulation.

Spécifiquement, les billets seront probablement plus longs qu’à l’habituelle (ils contiendront plus d’adverbes), mais également plus espacés. D’où le risque du silence du doctorant.

Contenu culturel Créateur Québec Revue et journaux

Nouveaux sites culturels québécois

Depuis quelques semaines, nous avons eu vent de deux sites qui proposent des nouvelles et analyses de la scène culturelle québécoise, légèrement en marge des sentiers battus.

En premier lieu, soulignons le site collaboratif KA Libre Québec, qui met en scène des textes de créateurs, critiques et bien d’autres.

Aussi, mentionnons CultureWeb.ca qui propose un site «alpha» (préliminaire, en construction). Cette mouture regorge de concours et autres promotions.

Ces deux sites sont naissant, nous leur souhaitons beaucoup de succès et surtout longévité !

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Philosophie du droit – DRT7001

Université de Montréal

Examen Maison

par

Olivier Charbonneau, BCom, MSI, LLM

Faculté de Droit

Présenté à Professeur Jean-François Gaudreault-Desbiens

DRT – 7001 Philosophie du droit

Automne 2009

© Olivier Charbonneau, 2009

Table des matières

1. Question 1 – Courants pertinents au projet de doctorat

1.1. Éloge de l’analyse systémale et la surdétermination

L’analyse systémale et le mécanisme de surdétermination me semblent parmi les courants philosophiques les plus pertinents pour mon projet de doctorat. Tel que présenté sommairement par Gérard Timsit :

« l’analyse systémale […] conduit à s’interroger sur les mécanismes d’accession de la norme à sa signification et à distinguer parmi eux, outre les mécanismes de prédétermination et de codétermination, le mécanisme de la surdétermination – valeurs, code culturel qui président, en dernier ressort, à la détermination du sens conféré à un texte par son lecteur1. »

Par ailleurs, les projets réalisés par Andrée Lajoie2 en lien avec ces théories semblent atteindre des objectifs similaires à ceux qui sont désirés pour mon projet de doctorat.

En effet, mon projet de doctorat consiste à analyser les questions relatives au droit d’auteur dans le monde numérique, particulièrement pour offrir aux institutions du patrimoine (bibliothèques, musées, archives) et les professionnels qui y travaillent des pistes de solutions aux enjeux majeurs du domaine. L’analyse systémale et le mécanisme de surdétermination se posent comme un cadre d’analyse pour les revendications de plusieurs groupes, ce qui est particulièrement utile pour le droit d’auteur.

En effet, le marché de biens culturels, d’information et du savoir s’organise en pôles : auteurs, éditeurs, diffuseurs, consommateurs et leurs institutions se partagent les rôles industriels et emploient le droit d’auteur pour consolider leurs intérêts. L’arrivée du numérique et de l’incertitude causée par un courant perpétuel de réforme bouscule les positions des acteurs et donc, l’équilibre relatif nécessaire au bon fonctionnement du droit d’auteur. Par exemple, citons simplement les projets de numérisation de masse de fonds documentaires3 et la question du droit d’auteur sur les œuvres orphelines. Ensuite, la question du livre numérique soulève des problématiques à chaque niveau de la chaîne de production culturelle :

· le contrat type de l’Union des écrivaines et écrivains du Québec (UNEQ) et d’autres syndicats de créateurs qui indiquent q’une licence est à primer sur la cession de droit ce qui cause un impact sur la « chaîne des droits » en aval dans l’industrie numérique;

· la nouvelle plate-forme de diffusion numérique de l’Association nationale des éditeurs de livre (ANEL);

· le rôle des librairies dans le commerce électronique, qui délocalise cette industrie;

· le besoin du consommateur d’avoir accès à des marchés efficaces et compétitifs;

· les contrats d’accès et la difficulté de trouver les droits nécessaires en amont de la « chaîne des droits » les missions de bibliothèques4 de tous types.

Également, la question de l’utilisation équitable et des exceptions au droit d’auteur, en tant que mécanismes extracontractuels au profit de clientèles d’institutions du patrimoine5 sans toutefois brimer des marchés légitimes6, doit être revisitée en profondeur. Ces exemples illustrent la double nécessité d’établir le contexte juridique de ces questions pour la juridiction québécoise et canadienne ainsi que de déborder du cadre de la loi.

Il appert que ces questions soulèvent toute une panoplie de questionnements juridiques et de revendications qui dépassent le simple cadre du droit. Des enjeux juridiques peuvent survenir, comme le précise Lessig7, dans l’économie et les marchés, dans les pratiques ou les normes sociales et dans les technologies. Citons aussi en exemple le récent ouvrage de William Patry8 qui explore les tensions entre revendications des acteurs industriels, puis les recensements des origines philosophiques9 du droit d’auteur numérique.

Par ailleurs, « théorie pure du droit » de Kelsen10, surtout sa pyramide qui hiérarchise divers types de règles, du droit positif jusqu’aux autres aspects comme les normes, a longtemps figuré à la tête du palmarès des courants philosophiques d’intérêt pour ce projet de doctorat. Comme le précise l’Encyclopédie Universalis11 :

« Kelsen assigne pour but unique à la science du droit d’établir les normes du droit positif, de définir leur contenu, les modalités de leur élaboration et de leur application. »

Il s’agissait d’un cadre intéressant, mais l’analyse systémale et le mécanisme de surdétermination semblent plus pertinents pour les raisons déjà évoquées.

1.2. Rôle du positivisme dans mon projet de doctorat

Sur un même ordre d’idée, le positivisme juridique se pose comme un courant moins pertinent, surtout celui proposé par Hart. Il indique qu’il existe deux types de règles :

« Under the rules of the one type, which may well be considered the basic or primary type, human beings are required to do or abstain from certain actions, whether they wish to or not. Rules of the other type […] provide that human beings may by doing or saying certain things introduce new rules of the primary type, extinguishing or modifying old ones, or in various ways determine their incidence or control their operations. Rules of the first type impose duties; rules of the second type confer powers, public or private12. »

Hart précise que ces règles ont deux sources d’autorité13 : « une règle peut être obligatoire (a) parce qu’elle est acceptée ou (b) parce qu’elle est valide14. » Cette approche permet un droit aux contours flous (« open texture ») et offre aux juges un certain pouvoir discrétionnaire.

Ma réserve quant positivisme tel que posé par Hart consiste à préserver le droit comme un système relativement hermétique. Il prend pour acquis que le Législateur pose un droit général et se replie sur le Judiciaire pour permettre une certaine adéquation du droit à l’arène sociale et politique. La symbiose ainsi posée entre l’État et la règle, puis le rôle du judiciaire, ne représente pas adéquatement les problématiques que soulèvent le droit d’auteur numérique et les revendications dans la réforme du droit d’auteur. Ceci dit, il va de soi que le projet de doctorat contiendra une classification ontologique15 des sources premières du droit (loi, jugements) qui sera manifestement « positiviste » ainsi qu’une analyse approfondie de la doctrine.

Mais la force du projet résidera dans la recension des revendications des acteurs de l’industrie et des institutions. Timsit offre donc un cadre opportun pour examiner nos interrogations sous un angle des plus pertinents :

« il apparaît que le caractère obligatoire de la norme ne se situe pas seulement sur le plan de l’impérativité – de la contrainte, de la normativité – mais résulte également de considérations liées à la juridicité, à la signification de la norme…16 »

2. Question 2 – Analyse de l’arrêt Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain [2002] R.C.S. 336

L’arrêt Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain17 illustre plusieurs aspects de la philosophie du droit, dont en premier lieu, la tension entre le droit d’auteur et les droits moraux. Dans les deux cas, ils sont édictés par la Loi sur le droit d’auteur,18 donc découlant d’une source purement positive en droit canadien, mais leurs origines historiques et internationales proviennent de sources bien différentes. En effet, le Juge Binnie, au nom de la majorité, et le Juge Gonthier, dissident, précisent les articles de loi qui édictent le droit d’auteur en des droits économiques exclusifs en vue de l’exploitation commerciale d’une œuvre ainsi que les droits moraux qui protègent les intérêts artistiques du créateur original. La source positive du droit d’auteur et des droits moraux est ainsi confirmée.

Par contre, les droits moraux ont une origine bien différente. Pour le Juge Binnie, les droits moraux :

« consacrent une conception plus noble et moins mercantile du lien entre un artiste et son œuvre. Ils traitent l’œuvre de l’artiste comme un prolongement de sa personnalité et lui attribuent une dignité qui mérite d’être protégée19.  »

Cette vision est corroborée par le Juge Gonthier puisque les droits moraux sont « comme une extension de la personnalité de l’auteur20 ». Ce lien entre l’artiste et son œuvre découle de la qualité même de l’artiste (ou de sa volonté), ce qui porte les droits moraux vers le jusnaturalisme. Quoique cette distinction ne soit pas étayée comme tel dans ce jugement, elle a porté un coup décisif dans sa résolution : le droit d’auteur, d’origine positive et s’articulant comme un droit économique, a primé sur les droits moraux, découlant d’une vision du droit naturel qui relève de la qualité d’un individu. D’ailleurs, cette distinction fascinante a eu bien des impacts dans le débat qui entoure le droit d’auteur.

Sur un autre ordre d’idée, les deux positions de ce jugement opposent deux approches fondamentalement différentes, celle de l’herméneutique (interprétation) pour le Juge Binnie puis celle de la rhétorique (argumentation) pour le Gonthier. En effet, Paul Ricœur pose que l’interprétation suppose une compréhension des faits en cause pour ensuite déterminer loi applicable21 tandis que l’argumentation :

« est tirée de la règle d’universalisation […]. Il faut donc procéder par degrés de décomposition jusqu’à trouver un emploi des expressions de la loi dont l’application à un cas donné ne laisse plus de place à la dispute22.  »

Ricœur propose un rapprochement de ces deux concepts : l’interprétation constitue un outil essentiel à l’argumentation. Dans tous les cas, la distinction entre ces deux approches en droit nous permet de procéder à l’analyse tour à tour les deux parties du jugement.

2.1. Le Juge Binnie (majorité) et l’interprétation

Les adhérents de la « Sociological Jurisprudence » et au mouvement réaliste américain auraient long à dire à propos de l’approche du Juge Binnie de puiser allègrement dans les précédents jurisprudentiels. Selon ces penseurs, les précédents ne dictent pas une solution toute faite au juge. Plutôt, ils constituent une base de départ pour la réflexion ainsi que des outils fonctionnels pour le juge afin qu’il livre un traitement égal ou prévisible aux litiges. Ainsi, le juge opère une reformulation de chaque règle du précédent, puisque « ce n’est pas le texte qui change, mais bien le lecteur23.  »

Pour sa part, Dworkin souligne qu’il incombe au juge de préserver l’intégrité du droit par ses jugements, comme si chaque juge écrivait un nouveau chapitre d’un long roman juridique :

« Law as integrity asks judges to assume, so far as this is possible, that the law is structured by a coherent set of principles about justice and fairness and procedural due process, an dit asks them to enforce these in the fresh cases that come before them, so that each person’s situation is fair and just according to the same standards24

Par contre, sa position diffère de celle des adhérants à la « Sociological Jurisprudence » et au mouvement réaliste américain. Ces derniers tentaient une relecture de la doctrine du précédent afin de bonifier la common law grâce à de nouveaux outils d’analyse tandis que Dworkin rapproche l’interprétation portée par les juges au positivisme pur. Il est évident que le travail de recension et d’analyse étroite des concepts juridiques des autres arrêts pertinents du Juge Binnie porte honneur à la position de Dworkin.

2.2. Le Juge Gonthier (dissident) et l’argumentation

La décision dissidente rendue par le Juge Gonthier propose une adéquation des règles de droit, de la volonté des parties dans le contrat mais aussi le sens même de certains mots pour atteindre le dispositif. Par exemple, le Juge Gonthier précise :

« La législation canadienne doit donc s’interpréter à la lumière du contexte historique, des développements jurisprudentiels et législatifs internes et des conventions internationales25. »

Mark van Hoecke26 voit dans ce dialogue entre règles juridiques, interprétations, principes, et la volonté des parties sa « théorie de l’argumentation » (Argument Theory). Cette théorie pose que la « justice générale » (General Justice), qui se base sur une « légitimation traditionnelle » (Traditional Legitimation) où une décision est imposée par une instance autoritaire ayant un pedigree systémique fort, sera appelée à évoluer vers une « justice concrète » (Concrete Justice) qui découle d’une « légitimation communicative » (Commuincative Legitimation). L’argumentation devient donc un outil pour faire le pont entre le droit et les autres sources, dont la morale et les règles non écrites.

Cette approche évoque également la théorie pure du droit de Kelsen, particulièrement sa

« recherche [de] la structure logique des ordres juridiques existants et parvient ainsi à la compréhension de la construction hiérarchisée (de la pyramide) de l’ordre juridique, compréhension qui, pour la connaissance de l’essence du droit, revêt une signification fondamentale27. »

C’est ainsi que Kelsen récupère les normes et la morale, entre autres, dans sa compréhension du droit.

Sans cette ouverture sur le concept même de droit, il est difficile de comprendre pourquoi le Juge Gonthier insiste tant sur l’impact du contrat entre l’artiste Théberge (l’intimé) et l’Éditeur É.G.I. (un tiers au litige) sur les agissements de l’appelant (les galeries d’art)28 qui n’est pas partie au contrat. Il paraît paradoxal que le Juge Gonthier voit, dans le contrat entre Théberge et É.G.I. une source pour interdire un tiers de poser une action, interdite par contrat certes, mais permise par la loi. La tension entre les visions du Juge Binnie et Gonthier du droit économique et du droit « naturel » de l’artiste en est à son paroxysme à ce moment. Dans tous les cas, les théories de Kelsen et de van Hoecke, entre autres, offrent un cadre conceptuel dans lequel le Juge Gonthier opère son exercice rhétorique.

Pour tout dire, citons Vanier dans son analyse de la Nouvelle Rhétorique de Pelerman29 : « l’argument fort est en principe celui qui peut se prévaloir de précédents30. » Comme le précise le Juge Binnie pour la majorité :

« Si l’intimé visait juste en essayant d’étendre le concept de la reproduction d’une « partie importante de l’œuvre » aux cas où il n’y a pas multiplication, on s’attendrait à trouver de la jurisprudence à l’appui de sa thèse. Or, aucune cause l’appuyant n’a été portée à notre attention31

Somme toute, nonobstant l’effort de rhétorique, l’herméneutique est manifestement un outil préalable et essentiel du juge.

1 Gérard TIMSIT, « La surdétermination de la norme de droit : questions et perspectives », dans A. Lajoie et al. (dir.), Théories et émergence du droit : pluralisme, surdétermination et effectivité, Montréal et Bruylant, 1998, p. 100

2 Andrée LAJOIE, « Surdétermination » dans Op. Cit., note 1, p. 85-86

3 Peter B. HIRTLE, Emily HUDSON, and Andrew T. KENYON, Copyright and Cultural Institutions: Guidelines for Digitization for U.S. Libraries, Archives, and Museums, Ithaca, New York, Cornell University Library Press, 2009

4 Lesley Hellen HARRIS, Licensing Digital Content: A Practical Guide for Librarians, 2e éd., Washington, American Library Association, 2009

5 Graham P. CORNISH, Copyright: Interpreting the Law for Libraries, Archives and Information Services, 5e éd., Londres, Facet Publishing, 2009

6 CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339

7 L. LESSIG, Code and other laws of cyberspace, New York, Basic Books, 1999, p. 81

8 Wiliam PATRY, Moral Panics and the Copyright Wars, Oxford University Press, 2009

9 P. DRAHOS, A Philosophy of Intellectual Property, Australie, Dartmouth Press, 1996

10 Hans KELSEN, « Qu’est-ce que la théorie pure du droit ? », (1992) 22 Droit et Société 551, p. 556

11 Hans Kelsen, Encyclopédie Universalis [ressource électronique via la bibliothèques de l’U. de Montréal]

12 H. L. HART, The Concept of Law, 2e éd., Oxford University Press, p. 81

13 Loc. cit., note 12, p. 97-107

14 Ronald DWORKIN, « Le Positivisme », (1985) Droit et Société 1, 35, p. 39

15 D. R. KOEPSELL, The Ontology of Cyberspace : Philosophy, Law and the Future of Intellectual Property, Chicago, Open Court, 2000, 139 p.

16 Loc. cit., note 1, p. 101

17 [2002] R.C.S. 336

18 L.R.C. 1985, ch. C-42

19 Loc. cit., note 17, para. 15

20 Loc. cit., note 17, para. 120

21 Paul RICŒUR, Le Juste, Paris, Esprit, 1995, p. 178

22 Id., p. 179

23 Françoise MICHAUT, « Le rôle créateur du juge selon l’école de la « Sociological Jurisprudence » et le mouvement réaliste américain », (1987) 2 Revue Internationale de Droit Comparé 343, p. 361

24 Ronald DWORKIN, Law’s Empire, Cambridge, Harvard University Press, p. 243

25 Loc. cit., note 17, para. 116

26 M. van HOECKE, Law as Communication, Oxford, Hart Publishing, 2002, pp. 208

27 Loc. cit., note 10, p. 556

28 Loc. cit., note 17, para. 163 et suivants

29 C. PERELMAN, Éthique et droit, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles

30 G. VANIER, Argumentation et droit : Introduction à la Nouvelle Rhétorique de Perelman, Paris, PUF, 2001, p. 60

31 Loc. cit., note 17, para. 52