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Droit, sociologie et politique (Noreau puis Berger & Luckmann)

À priori, la sociologie et la science politique semblent être un angle privilégié pour étudier le phénomène du droit. Par contre, les juristes résistent à cette perspective et élèvent le droit en science, comme les autres sciences sociales. Malgré les recoupements possibles et les similitudes selon certains courants en sciences juridiques, les trois domaines ont développés leurs langages, outils méthodologiques et leurs corps professionnels.

Pierre Noreau se pose justement la question quant au caractère interdisciplinaire du droit, en passant par la sociologie et la science politique. Le droit est centré sur lui-même et certains juristes tentent d’en redéfinir les contours pour permettre plus de porosité avec les sciences sociales. La sociologie, de par sa vision de l’institutionalisation (nous y reviendrons) qui mène à une microsociologie (qui semble rejetée), pose le droit en objet d’étude sociologique. En science politique, un très haut niveau d’abstraction mène à une tension digne du débat de l’œuf et la poule. Il précise que les domaines peuvent bénéficier d’une bonne dose d’humilité pour faciliter leur cohabitation.

Pour leur part, Berger et Luckmann se demandent «de quelle manière l’ordre social s’érigr lui-même». (p. 75 original, p. 331 tome 2 recueil). Ils précisent que «À la fois dans sa genèse […] et dans son expérience à tout moment […], il est un produit humain» (p. 76 original, p. 332 recueil). Ce qui les mènent à poser une théorie de l’institutionalisation :

«L’institutionalisation se manifeste chaque fois que des classes d’acteurs effectuent une typification réciproque d’actions habituelle.» (p. 78 original, p. 333 recueil). «Les institutions impliquent ensuite l’historicité et le contrôle.» (p. 79) «le monde institutionnel requiert une légitimation, c’est-à-dire des modes d’explication et de justification.» (p. 88, p. 338 recueil) «la plus grande prudence est requise dès que l’on avance une affirmation à propos de la « logique » des institutions. La logique ne réside pas dans les institutions ni dans leur fonctionnalité externe, mais dans la façon dont celles-ci sont traitées réflexivement. Pour le dire autrement, la conscience réflexive suppose à l’ordre institutionnel sa qualité logique.» (p. 91-92

Berger et Luckmann précisent que la sédimentation et la tradition permettent à l’institutionalisation de survenir (p. 95-100 original) suite à l’émergence d’un ordre social par la transmission via le langage (p. 98) et la connaissance, des modes de légitimation et des mécanismes de contrôle sociaux (p. 100).

L’intégration dans la collectivité sociale passe par la définition des rôles (p. 104 de l’original) :

Nous pouvons réellement commencer à parler de rôles quand ce genre de typification apparaît dans le contexte d’un stock de connaissances objectivé et commun à une collectivité d’acteurs. Les rôles sont des types d’acteurs dans un tel contexte. (p. 105) […] Les rôles représentent l’ordre institutionnel.

Ensuite, Berger et Luckmann indique qu’il est (p. 110) :

possible d’analyser la relation entre les rôles et la connaissance à partir de deux positions avantageuses. Selon la perspective de l’ordre institutionnel, les rôles apparaissent comme des représentations institutionnelles et comme des médiations de l’ensemble de connaissances institutionnellement objectivées. Selon la perspective des différents rôles, chaque rôle apporte avec lui un supplément socialement défini de la connaissance. Les deux perspectives, bien sûr, tendent vers le même phénomène global, qui est la dialectique essentielle de la société. La première perspective peut être résumée par la proposition suivante: la société n’existe que si les individus sont conscients d’elle. La seconde peut être exprimée par l’affirmation que la conscience individuelle est socialement déterminée. En ce qui concerne les rôles, on peut dire que, d’un côté, l’ordre institutionnel n’est réel qu’à partir du moment où il est réalisé dans l’exécution de rôles et que, d’un autre côté, les rôles sont représentatifs d’un ordre institutionnel qui définit leur caractère (y compris leur suppléments de connaissance) et où ils dérivent leur sens objectif.

Ensuite, des forces visent au maintient des institutions. Berger et Luckmann indiquent que (p. 119 original) :

«Comme tous les édifices sociaux de signification, les sous-univers doivent être portés par une collectivité particulière, c’est-à-dire, par le groupe qui a produit continuellement les significations en question et dans laquelle ces significations possèdent une réalité objective.

D’ailleurs, il se peut que des groupes se vouent à éroder les bases d’une institution, processus qui varie selon l’histoire : (p. 119)

Dans les société industrialisés avancées, aux surplus économiques immenses permettant à un très grand nombre d’individus de se vouer totalement à des occupations parfois très obscures, la compétition pluraliste entre les sous-univers de signification de toute sorte devient courante et normale.

Finalement, Berger et Luckmann se questionnent quant à la manière qu’est objectivée l’ordre institutionnel. Ils indiquent que (p. 123)

La réification est l’appréhension d’un phénomène humain en tant que chose, c’est-à-dire en des termes non-humains ou même supra-humains. […] La réification implique que l’homme est capable d’oublier sa propre création du monde humain, le créateur, et sa création, est perdue pour la conscience.

Ainsi, la réification est «une étape extrême dans le processus d’objectivation, par laquelle le monde objectivé perd son intelligibilité en tant qu’entreprise humaine et devient fixé en tant que facticité inerte, non-humaine, non-humanisable.» (p. 124). Ainsi, la réification permet de revenir à la case départ, un «monde de la nature» (p. 126), tout comme la réification des rôles. La réification permet de comprendre l’évolution de «société auparavant séparées» ainsi que le phénomène de la «marginalité sociale». (p. 127)

Le texte de Blumer permet d’ajouter à la perspective de Berger et Luckmann pour rejoindre les questions du domaine du droit.

BIBLIOGRAPHIE

Pierre Noreau, «La norme, le commandement et la loi: le droit comme objet d’analyse interdisciplinaire», (2000) 10 Politique et société, p. 153-177

Herbert BLUMER, «La société conçue comme une interaction symbolique», dans Pierre Birnbaum et François Chazel (dir.), Théorie sociologique, Paris, PUF 1975, p. 51-56

Peter BERGER et Thomas LUCKMANN, La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens Klincksieck, 1992, p. 69-127

Canada Commerce et Compagnies Gouvernance Gouvernements Internet

Une nouvelle stratégie numérique pour le Canada

Dans un article de La Presse Canadienne du 4 avril dernier, publié dans le quotidien montréalais La Presse, Jennifer Ditchburn indique que le ministre Canadien de l’Industrie, Tony Clement, proposera prochainement un document de travail traitant de «la stratégie digitale dans l’économie».

Peut-être y a-t-il un lien avec la participation annoncée du ministre au forum intitulé «Canada 3.0» le 10 mai prochain, qui traite justement du thème numérique. Cet événement est organisé par le «Canadian Digital Media Network».

Bibliographie Commerce et Compagnies Droit d'auteur Grande Bretagne LLD

Première cause en justice du droit d'auteur

L’histoire date de la première loi sur le droit d’auteur en Grande-Bretagne en 1708, mais les faits sont ironiquement similaire à la rhétorique contemporaine. Il est question d’intérêts économiques, de pirates et d’avancées technologiques. L’article suivant traite de la première cause en justice à propos du droit d’auteur:
Gomez-Arostegui, Tomas, The Untold Story of the First Copyright Suit Under the Statute of Anne in 1710 (March 16, 2010). Lewis & Clark Law School Legal Studies Research Paper No. 2010-11. Available at SSRN: http://ssrn.com/abstract=1572177

Merci à Jeff Roberts et à son excellent bulletin d’information IP News This Week du Centre for Intellectual Property Policy de l’Université McGill.

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«De la pyramide au réseau?» vu par Prof. Rolland

Voici nos notes de la présentation du texte «De la pyramide au réseau?» par Ost et Van de Kerchove, tel que vu par Prof. Rolland.

Un énorme MERCI à la professeure Louise Rolland pour sa contribution indéniable à l’évolution du projet de cet humble candidat au doctorat !

Les auteurs utilisent le cadre conceptuel de Kuhn concernant la science normale. Ils constatent qu’il y a un gouffre entre la science normale et la réalité juridique (première étape du changement de paradigme en science selon Kuhn). Les auteurs proposent qu’un système juridique s’inscrit dans un continuum où, d’un côté il y a la pyramide (Kelsen), et de l’autre, le réseau. Un système donné peut se situer n’importe où dans ce continuum, entre ces pôles.

Leur objet de recherche est l’Europe, surtout en ce qui concerne l’élaboration de la charte européenne et le contexte normatif qu’elle suppose. La méthode de recherche est la dialectique en tenant deux systèmes en opposition (pyramide et réseau). Ils proposent une série de justifications dans leur texte. Leur hypothèse est qu’un système juridique donné se situe dans un continuum ayant comme pôles la pyramide et le réseau. Leur cadre d’analyse est, dans la première partie de leur texte, la mouvance de la pyramide, et dans la seconde, l’émergence du réseau. Ainsi, la division des chapitres et des sections de leur texte représente leur cadre d’analyse (une partie du cadre opératoire).

En ce qui concerne leur cadre conceptuel, chaque système juridique possède ces paramètres : valeurs, ordre juridique, droit, production du droit et règles. Elles s’articulent ainsi :

PYRAMIDE (de Kelsen) RÉSEAU
Valeurs: Cohérence
Sécurité
Stabilité
Obéissance
Créativité
Souplesse
Pluraliste
Apprentissage Permanent
Ordre juridique: Nationalité
Souveraineté
Proportionnalité
Subsidiarité
Droit: Étatiste
Positiviste
Monologique
Prédéterminé
Pluraliste
Dialogique
Interaction entre fait et droit (sources formelles vs. droit)
Interdisciplinarité
Balance d’intérêt
Production du droit: Gouvernement
Institutions
Souveraineté
Gouvernance
Processus
Coordination des acteurs sociaux
Effort de consensus
Règles: Règlement
Commandement
Unilatéral
Autoritaire
Centralisé
Réglementation
Ordonnancement multilatéral
Négocié
Décentralisé

Cette approche est beaucoup plus claire que notre première analyse du texte de «De la pyramide au réseau?» par Ost et Van de Kerchove.

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Belley et Fuller sur les contrats

Dans son texte, Belley explore certains modèles d’inter-normativité en étudiant le cas précis de l’aluminerie ALCAN (maintenant Rio Tinto Alcan) au Saguenay. De par sa taille et donc son influence, cette firme exerce un poids structurant considérable dans l’économie locale. Ce contexte nourrit un rapport de force qui se voit articulé dans certains véhicules juridiques.

Dans un premier temps, l’État québécois a établit un cadre d’entente avec Alcan (un contrat en fait), où curieusement, est précisé l’intention d’adhérer aux règles de droit de l’État. Ensuite, l’entreprise dispose de plusieurs contrats avec ses grands fournisseurs. Puis, les relations contractuelles avec ses petits fournisseurs sont empreints de coopération. Finalement, les relations internes et externes de cette entreprises (conventions collectives, etc.) offrent une autre source de normativité. Il s’agit d’une exploration des connexions entre les ordres juridiques dans un contexte pluraliste.

En fait, Belley offre une exploration théorique de l’utilisation des contrats en recherche juridique (surtout aux pages 362-364 de l’original, p. 22-23 du 2e tome du recueil). Entre autres, il cite les travaux de L.L. Fuller, un détracteur du positivisme de Hart qui a beaucoup inspiré le chercheur contemporain Ron MacDonald de l’Université McGill. Fuller semble avoir également inspiré Belley dans l’établissement de son cadre d’analyse (p. 363 de l’original, p.22 tome 2 recueil) :

Le juriste américain Lon Fuller considérait que les formalités qui accompagnaient le processus contractuel peuvent remplir trois fonctions distinctes [citation vers Fuller, voir ci-bas]. Une première fonction est probatoire : la forme donnée à l’accord des volontés atteste de l’existence et de la teneur du contrat aux yeux des parties et des tiers. Une seconde fonction est assurantielle : le formalisme contractuel vise à prévenir les actions irréfléchies des parties en clarifiant les engagements et en augmentant la garantie de leur respect par la mise en évidence des sanctions qui seront appliquées en cas d’inexécution. Une troisième fonction est opérationnelle : la formalisation de l’entente sert à inscrire le projet matériel des parties dans la catégorie formelle appropriée du droit officiel ou d’un autre ordre normatif.

Ceci dit, Belley introduit la fonction «d’harmonisation normative» à la trilogie de Fuller. Il poursuit :

Considérée dans la seule perspective de la coordination immédiate entre les deux parties, l’harmonisation normative se conçoit assez facilement comme un moyen d’intensifier les fonctions probatoires, assurantielles et opérationnelles. L’explicitation formelle des normes de l’échange fait non seulement preuve d’un contrat, mais aussi du contenu normatif particulier qu’on a voulu lui donner. Dans la mesure où elle se réfère et se conforme aux normes d’un ordre juridique tiers, elle donne aussi l’assurance de pouvoir appeler cet ordre en garantie de l’exécution forcée du contrat. Enfin, dans un contexte où les activités de production et d’échange obéissent de plus en plus à des normes techniques spéciales et mettent en présence des organisations fonctionnant sur la base de leurs propres normes internes, l’harmonisation expresse de ces normes devient un facteur très important de la planification opérationnelle.

Belley distingue la fonction d’harmonisation aux autres fonctions du formalisme contractuel retenu par les agents participants à l’entreprise du contrat:

L’explicitation des normes fournit alors aux parties [p. 364] l’occasion de manifester leur volonté d’appartenance à une entité tierce, d’harmoniser les normes de leur contrat avec celles d’une matrice sociale qu’elles veulent reconnaître ou promouvoir, de témoigner expressément d’une politique extérieure que les deux ordres juridiques souhaitent établir dans un contexte de pluralisme juridique.

C’est pourquoi Belley divise cette section de son texte selon ces trois axes «Le contrat comme instrument d’harmonisation avec un ordre juridique tiers» (p. 364-369), «Le contrat comme instrument de coopération entre deux ordres juridiques indépendants» (p. 369-374) et «Le contrat comme instrument de coopération entre des ordres juridiques internes à un ordre juridique complexe» (p. 374-380).

Il conclue son texte sur le thème de l’analyse systémique, en citant Teubner et certains autres. Il conclut en ces termes (p. 391 de l’original, p. 36 du tome 2 recueil) :

Le contrat est un vecteur privilégié du pluralisme juridique parce qu’il se prête mieux que la loi à la conciliation dynamique des stratégies multiples et à la redéfinition constante des alliances. Il relève foncièrement de cette logique du métissage cognitif et normatif qui domine la sphère de l’action intersystémique où se rencontrent, au-delà de leurs domaines respectifs d’autorité, des pouvoirs forcés de concilier leurs lois.

BIBLIOGRAPHIE

Jean-Guy BELLEY, «Le contrat comme vecteur du pluralisme juridique», dans Philippe GÉRARD, François OST et Michel Van de KERCHOVE (dir.), Droit négocié, droit imposé?, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1996, p. 353-391

L.L. FULLER, «Consideration and Form», Columbia Law Review, vol 41, 1941, p. 799-824

Autres textes cités dans la dernière section du texte de Belley:

A.I. OGUS, «Law and Spontaneous Order : Hayek’s Contributions to Legal Theory», Journal of Law and Society, vol 16 no. 4, 1989, p. 393-409

TEUBNER, Droit et Réflexivité. L’auto-référence en droit et dans l’organisation, [trad. par Boucquey et Maier], Diegem-Paris, E. Story Scientia-L.G.D.J., 1994

TEUBNER, Le droit, un système autopoïétique, [trad. par Boucquey et Maier], Paris, PUF, 1993

TEUBNER, «The Two Faces of Janus : Rethinking Legal Pluralism», Cardozo Law Review, vol. 13, no. 5, 1992, p. 1443-1462

Canada Commerce et Compagnies Document numérique Droit d'auteur Exceptions au droit d'auteur Institutions LLD Utilisation équitable

Tension entre contrats et utilisation équitable

Une tension existe entre les contrats et l’utilisation équitable à la fois du point de vue institutionnel et commercial. Dans le premier cas, les revendications concernant l’articulation de l’utilisation équitable peuvent sembler signaler une volonté de porter préjudice au marché commercial d’une œuvre. Dans le second cas, l’imposition de limites à l’utilisation équitable par des contrats d’accès à l’information numérique pose un problème quant à la réalisation des missions institutionnelles ainsi qu’aux moyens de négociations offerts aux milieux patrimoniaux. Explorons brièvement chacun de ces points, afin de déterminer une conclusion (nous l’espérons) qui saura satisfaisante pour tous.

L’utilisation équitable et le marché

Certains pourraient prétendre que la lettre ouverte envoyée récemment au Ministre du patrimoine Canadien, l’honorable James Moore, vise à porter préjudice à l’exploitation commerciale des marchés. Cette interprétation n’est pas conforme avec l’objectif de l’utilisation équitable, telle que définie dans la lettre.

En fait, il est vrai que cette lettre demande une «ouverture» de la définition de l’utilisation équitable, à des fins qui ne sont pas uniquement énumérés dans la loi (actuellement, la Loi sur le droit d’auteur stipule cinq usages équitable: la recherche, l’étude privée, le compte rendu, la critique et la communication de nouvelles). Par contre, cette «ouverture» est nécessairement balisée et limitée par six facteurs d’analyse, tels qu’édictés à l’unanimité par les juges de Cour suprême du Canada dans l’arrêt CCH en 2004 :

(para 53 et suivants) (1) le but de l’utilisation; (2) la nature de l’utilisation; (3) l’ampleur de l’utilisation; (4) les solutions de rechange à l’utilisation; (5) la nature de l’œuvre; (6) l’effet de l’utilisation sur l’œuvre. Bien que ces facteurs ne soient pas pertinents dans tous les cas, ils offrent un cadre d’analyse utile pour statuer sur le caractère équitable d’une utilisation dans des affaires ultérieures.

Donc, présenter la position présentée dans la lettre comme une «ouverture» de l’utilisation équitable porte préjudice à la subtilité de la position. Cette «ouverture» est immédiatement «fermée» par des balises et des contraintes assez lourdes. Il est essentiel (à nos yeux) de demander à la fois ladite «ouverture» et de s’imposer des «balises» corrélatives, qui «ferment» la boucle, afin d’assurer l’équité dans le régime du droit d’auteur.

Paradoxalement, il est important de préciser que l’utilisation équitable se porte au profit des créateurs avant tout ! Par exemple, la parodie n’est pas couverte actuellement en droit canadien, l’approche «ouverture/balise» offre un mécanisme juridique simple pour régler ce silence de la loi.

Par ailleurs, il est primordial de comprendre que tous les créateurs sont avant tout des consommateurs, tandis que l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Une auteure lit, un cinéaste regarde et une musicienne écoute avant de créer. La culture nourrit la culture. L’utilisation équitable est un moyen de préparer des nouvelles recettes, sans tomber dans les plats. L’utilisation équitable sert les créateurs.

L’utilisation est donc un moyen nécessaire pour la flexibilité de la loi et la lettre propose une approche en lien avec l’équité et la balance des intérêts. En plus, elle sert la création. Le milieu commercial doit au moins apprécier cet argument, qui sera à leur bénéfice par ailleurs.

Contrats d’accès numériques et utilisation équitable

Avant l’arrivée de l’environnement numérique, l’utilisation de matériel protéger par le droit d’auteur s’opérait (et s’opère toujours en fait) dans un cadre extra-contractuel. Quand j’achète et je lis un roman (sur papier), le seul contrat auquel je participe est le contrat de vente avec le libraire. Il n’y a pas de transfert ou de licences sur les droits d’auteurs. C’est pourquoi la doctrine de la première vente fut édictée par le milieu, elle précise qu’une présomption d’avoir les droits nécessaires pour utiliser raisonnablement le livre (pour le revendre, le donner, le détruire…) existe au profit de l’acquéreur légitime.

Dans le monde numérique, tout accès se base sur un contrat. Le fait de lire ces ligne sur CultureLibre.ca, vous êtes assujettis au contrat d’utilisation Creative Commons, que vous soyez d’accord ou non. La tendance lourde de l’industrie consiste à proposer des contrats d’utilisation pour toutes les formes d’accès à l’information numérique. La règle d’utilisation devient donc fragmentée.

Il s’agit d’une réalité de l’environnement numérique, qui est ni bonne, ni mauvaise. Cet analyse dépend de votre point de vue (on pourrait dire que le papier est un vecteur de la Culture Libre car il existe encore une présomption d’utilisation ouverte… mais ça, c’est un sujet pour autre billet). Le point est que nous devons maintenant composer avec cette réalité.

Une question qui nous tracasse depuis que nous comprenons la distinction en droit civil entre un droit d’ordre public (un article de la loi qui ne peut être ignoré) et un droit supplétif de volonté (un article de loi qui peut être neutralisé par un contrat). Est-ce que l’utilisation équitable constitue un droit dit d’ordre public? (en fait, il n’est pas certain que cette question s’applique à une loi fédérale à cause des caractéristiques de la common law de cet ordre judiciaire – mais la question théorique demeure).

Un titulaire pourrait être tenté d’éliminer tout risque de recours à l’utilisation équitable par un utilisateur de contenu en articulant des dispositions contractuelles en ce sens. Dans un contrat d’adhésion (sans négociation possible, comme dans presque tous les contrats d’utilisation où nous devons donner notre consentement sans même comprendre les contrats), cette approche constitue une utilisation inacceptable du droit exclusif réservé au titulaire et élèverait sa position de monopole économique au delà de l’équité. Il est important de ne pas contraindre l’utilisation équitable par les contrats.

Quelle est donc la solution ? Dans la plupart des cas, un contrat d’accès permet à un utilisateur de bénéficier de certains droits limités sur une œuvre protégée. Donc, le titulaire offre une licence à l’utilisateur pour certains de ses droits exclusifs. En ce sens, un contrat d’utilisation bien formulé n’a pas besoin de toucher à l’utilisation équitable car l’utilisation équitable constitue une utilisation moindre que le contrat d’accès lui-même (cette hypothèse est à valider, mais la logique/rhétorique semble tenir à première vue).

Prenons un exemple: un contrat d’accès à un corpus numérique signé entre une université et un éditeur donné. Ce contrat permet la copie du corpus pour des fins de distribution multiple aux étudiants du cours (via un site d’enseignement comme Moodle). Il permet également aux membres de la communauté universitaire d’effectuer des recherches et de s’envoyer des copies entre eux, tout en effectuant des copies pour des fins d’utilisation personnelles…

Le point est que la plupart des usages permis dans cet exemple vont au delà de l’utilisation équitable. Ces usages sont offerts contre rémunération par l’institution. Le contrat est négocié et les termes sont équitables. Si jamais une partie considère que certains usages sont inéquitables, il convient de les baliser dans le contrat afin d’offrir une rémunération. L’utilisation équitable devrait toujours être permise dans ces contextes, car les droit d’accès et d’utilisation du contrat sont toujours supérieurs aux droits conférés par l’utilisation équitable (hypothèse).

Conclusion: concevoir de bons contrats !

Donc, de bons contrats d’accès, négociés avec diligence et respect des impératifs de chacun (économiques ou institutionnels) est la meilleure solution pour tous. Il est donc primordial d’entamer des négociations en ce sens, pour assurer de réguler les marchés de biens protégés par le droit d’auteur d’une manière équitable.

Bibliothèques Canada Conférence Droit d'auteur Universités

Droit d'auteur à l'université

Le groupe ABC-Copyright, qui regroupe des professionnels de l’information et des juristes dans le milieu universitaire canadien traitant du droit d’auteur, annonce qu’il est maintenant possible de s’inscrire pour leur conférence intitulée «Advocacy and Openness». Voir détails (en anglais) au :

http://copyrightforum.banffcentre.ca/

La conférence aura lieu à Athabasca (nord de l’Alberta) les 21 et 22 juin 2010.