Positionner les bibliothèques dans les communs (commons)
J’ai l’énorme plaisir de participer le 9 avril prochain à une matinée d’échanges sur le thème des commons à l’initiative de Thierry Belleguic et Florence Piron. En fait, il s’agit d’une Journée d’étude organisée par le laboratoire de recherche action sur les communs (LARAC). Je vous offre quelques réflexions sur le sujet des communs dans un contexte où je suis bibliothécaire et que ces deux concepts sont interalliés de plusieurs façons.
Avant tout, je vous invite à visionner cette vidéo récente de Yochai Benkler, professeur en droit et affaires à Harvard, qui a longtemps étudié le thème des communs (avec tant d’autres américains: Lawrence Lessig, James Boyle, David Bollier… ainsi que plusieurs français: Florent Latrive, Philippe Aigrain…), Benkler a proposé une courte présentation au World Economic Forum à Davos sur le thème « Challenges of the sharing economy »
Voici ma réflexion sur les communs:
Les bibliothèques, à plusieurs niveaux, sont des institutions. Hess et Ostrom (2007) définissent les institutions comme
formal and informal rules that are understood and used by a community. Institutions. as we use the term here, are not automatically what is written in formal rules. They are the rules that establish the working « dos » and « don’ts » for the individuals in the situation that a scholar wished to analyse and explain (p. 42).
Afin d’appréhender les rôles et fonctions des institutions, ces deux chercheures emploient le « Institutional Analysis and Development Framework » (IAD) afin de conceptualiser des cas où les communs émergent comme modalité organisatrice de la société. La tentation est forte d’avoir recours à ce modèle pour analyser les bibliothèques, mais je désire inclure certains autres concepts dans le modèle qui m’intéresse avant de procéder.
Le droit d’auteur semble être le régime juridique formel le plus pertinent à analyser du point de vue juridique. Le droit d’auteur interdit ce que la technologie permet. Depuis l’émergence du numérique, plusieurs problèmes d’ordre économiques et sociaux irritent les divers agents qui opèrent au sein des systèmes sociaux.
Le trio conceptuel qui m’intéresse est donc les bibliothèques, comme institution (au sens de Hess et Ostrom 2007, mais aussi North 1991) mais aussi objet d’étude; le droit d’auteur, comme régime juridique formel qui anime le système social (au sens de Luhmann, 2004) mais aussi comme sujet d’étude; et l’univers numérique comme contexte d’étude. Si j’écrivais un conte pour enfant, la bibliothèque aurait une aventure en droit d’auteur à cause du numérique. Et je me sens parfois comme un personnage de ce conte… Mais, mon cadre conceptuel inclus ces trois éléments: bibliothèques, droit d’auteur et numérique.
Je puise dans diverses théories pour articuler mon approche. La première classe de théories puise largement dans l’économie où, au niveau individuel (ou microscopique), la transaction domine dans sa sphère néolibérale classique (offre, demande, tension entre valeur et richesse, etc.). Sur le plan institutionnel (ou macroscopique), le marché domine dans un contexte de biens privés mais où les biens publics imposent un autre cadre d’analyse (Hayek vs Polanyi). La seconde classe de théories découlent de la sociologie où, au niveau individuel ou microscopique, l’interaction est le jeu de pouvoir et de risques. Sur le plan institutionnel ou macroscopique, la gouvernance devient le modèle ce coopération, coordination ou compétition. La gouvernance s’exprime en diverses topographies sociales (arbre, hiérarchie, réseau).
À l’intérieur de ce cadre théorique économico-social, mon cadre conceptuel (bibliothèques, droit d’auteur, numérique) s’analyse grâce à l’Analyse bibliothÉconomique du Droit d’auteur (AbÉDa). L’élément central de mon corpus est le contrat, où les bibliothèques opèrent des relations économiques et sociales pour faire émerger des communs. Donc, outre le simple commerce de la culture, les bibliothèques offrent une entrée non-commerciale au savoir, à l’information et à la culture.
Ce qui m’intéresse donc est d’étudier des relations contractuelles et, si ces relations sont pérennes et massives, d’y voir émerger des normes comme proto-institutions dans un contexte d’oeuvres protégées par le droit d’auteur numériques.
Et mon chantier actuel est le jeux vidéo (voir aussi les détails sur mon carnet OutFind.ca), où je tente d’articuler les termes des contrats afin de rendre disponible des jeux vidéos indépendants par le biais des bibliothèques publiques.
Bibliographie partielle
– Livres
Aigrain, P., Cause commune : l’information entre bien commun et propriété, coll. «Collection Transversales; Variation: Collection Transversales.», Paris, Fayard, 2005
— Internet & création comment reconnaître les échanges hors-marché sur internet en finançant et rémunérant la création ?, Cergy-Pontoise, In libro veritas, 2008
Aoki, K., J. Boyle et J. Jenkins, Bound by law? : tales from the public domain, New expand, Durham, NC, Duke University Press, 2008
Benkler, Y., The wealth of networks : how social production transforms markets and freedom, New Haven, Yale University Press, 2006
Bollier, D., Brand name bullies : the quest to own and control culture, Hoboken, N.J., J. Wiley, 2005
Boyle, J., The public domain : enclosing the commons of the mind, New Haven, Yale University Press, 2008
Guibault, L.M.C.R. et C. Angelopoulos, Open content licensing : from theory to practice, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2011
Hess, C. et E. Ostrom, Understanding knowledge as a commons : from theory to practice, Cambridge, Mass., MIT Press, 2007
Latrive, F., Du bon usage de la piraterie : culture libre, sciences ouvertes, coll. «La Découverte/Poche ;; 247; Variation: Découverte/Poche.; Essais ;; 247.», Paris, La Découverte, 2007
Lessig, L., Code and other laws of cyberspace, New York, Basic Books, 1999
— Code Version 2.0, New York, Basic Books, 2006
Luhmann, N., Law as a social system, coll. «Oxford socio-legal studies», Oxford; New York, Oxford University Press, 2004
Ostrom, E., Governing the commons : the evolution of institutions for collective action, Cambridge ; New York, Cambridge University Press, 1990
Wershler-Henry, D., Free, as in speech and beer : open source, peer-to-peer and the economics of the online revolution, Toronto, Prentice Hall, 2002
– Articles ou chapitres
Benkler, Y., «Coase’s Penguin, or, Linux and the Nature of the Firm» dans Ghosh, R.A. (dir.), CODE : collaborative ownership and the digital economy, Cambridge, Mass., MIT Press, 2005,
— «Sharing Nicely: On Shareable Goods and the Emergence of Sharing as a Modality of Economic Production», (2004) 114 The Yale law journal
North, D.C., «Institutions», (1991) 5 Journal of Economic Perspectives
Ce contenu a été mis à jour le 2015-04-08 à 8 h 54 min.