Ceci n'est pas un prix unique
Depuis le début de mon blogue, je suis fier d’appliquer une stricte politique du prix unique : zéro. Ainsi, je peux efficacement gérer la diffusion de mes écrits dans les chaînes de diffusions numériques, je laisse tout un chacun me piller librement, au grand plaisir de mon égo lorsque je compile mes statistiques.
Blague à part, il y a au Québec depuis hier des audiences de la Commission de la culture et de l’éducation autour du document intitulé : « Document de consultation sur la réglementation du prix de vente au public des livres neufs imprimés et numériques »
Il y eu un branle-bas similaire il y a une dizaine d’années…
Voir aussi les textes du Devoir et spécifiquement celui de ce matin sous la plume de Frédérique Doyon. À la lecture de ce dernier texte, on croirait que la seule issue pour les librairies est le prix unique – sans quoi, c’est la ruine, peu importe les efforts.
De toutes évidences, on ne peut être que pour ou contre… comme cela se doit aujourd’hui dans le monde de Facebook (on aime ou on aime pas). Constatez cet échange entre Mario Asselin et Clément Laberge sur le blogue du premier. Et sur celui du second, voir ce billet qui pointe vers plusieurs réflexions pertinentes.
Personnellement, je me dégage de ce débat. Pas le temps, j’écris ma thèse (sérieusement). Mais je vais me permettre ces petites réflexions (quand même… je ne peux m’en empêcher).
Si je me souviens mes cours d’économie, si on augmente le prix d’un bien, la demande va diminuer, l’offre et la demande entretenant un lien inversé. Ceci dit, je suis bien conscient de l’intérêt que porte la science économique moderne vers d’autres outils d’analyse, comme l’analyse des transactions et l’école néo-institutionnelle (l’analyse de l’offre et de la demande découle de la doxa néo-classique de l’École de Chicago). J’en parlais justement récemment…
Comme disait Ronald Coase (maître intellectuel de l’école transactionnelle) « If you torture the data enough, nature will always confess » (traduction libre: si vous torturez assez les données, la nature donne toujours une confession). C’est pour dire que selon la conceptualisation d’un problème ainsi que l’outil méthodologique appliqué, on peut diriger les résultats en notre faveur. Il convient donc toujours se demander si l’analyse appliquée aux fait évoqués permet de prendre une mesure normative appropriée.
Je suis ni pour, ni contre la mesure proposée (prix fixe dans tous canal de distribution pour 9 mois avec remise maximale de 10% en cette période). En fait, je suis indifférent. Cette indifférence découle de mon doute (dans le sens scientifique du terme) quant à l’impact de la mesure sur la vitalité à long terme des librairies indépendantes. J’aimerai bien plonger dans les données et la littérature de la question pour valider ces perspectives…. je n’ai pas le temps, voici un remue-méninges rapide de ce que je trouverai probablement:
Est-ce que l’imposition de structures de diffusion (variable indépendante) occasionnera une santé financière durable aux librairies indépendantes (variable dépendante) ?
L’école néolibérale aurait tendance à dire NON car, comme j’ai évoqué plus haut, si on augmente le prix d’un bien, la demande va diminuer.
L’école transactionnelle douterai sérieusement de la prémisse de départ mais, après un certain moment de réflexion, se demanderai pourquoi les éditeurs ne peuvent pas atteindre un résultat analogue par des contrats.
L’école néo-institutionnelle (celle que j’aime) ouvrirait l’analyse pour incorporer un modèle plus sociologique, plus ouvert. Dans ce contexte, il serait question de relation de pouvoir entre les auteurs, éditeurs, diffuseurs et librairies. On évaluerait les habitudes d’achat des consommateurs et l’offre commerciale émergente. On aurait un fun noir, mais l’étude ne serait pas concluante d’une manière significative… il faudrait s’en remettre à un comité qui proposerai une mesure semi-bancale comme… le prix unique du livre.
Je me questionne aussi de l’effet de la thèse shumpéterienne de la destruction créatrice inhérente du capitalisme et son effet positif sur l’innovation…. mais là, je ne me ferai pas d’amis…
Il faut dire que je suis très d’accord d’imposer le prix unique du livre aux bibliothèques relevant de l’État (sauf les universités, qui doivent êtres libres dans leurs approvisionnements – après 10 ans comme bibliothécaire dans une université, je sais que les livres que j’achète pour mon institution ne sont simplement pas en librairie locale). Cette mesure est en place depuis 1981 et l’effet stabilisateur est bien recensé et accepté. Voir, inter alia, ce chapitre d’une étude de 2008 du gouvernement fédéral: La distribution de livres et la Loi 51 au Québec. Vivement le plan Vaugeois !
En bout de ligne, je souhaite plein de succès à tous ceux et celles qui s’engagent dans cette belle aventure. Je vous laissent avec une citation de Hesse, que je venais juste d’inclure dans ma thèse et qui m’a fait penser à la question du prix unique du livre :
« Those legal thinkers who sided with the objectivist position of Condorcet elaborated the utilitarian doctrine that there was no natural property in ideas, and that granding exclusive legal rignts to individuals for unique forms of their expression could only be justified because such an arrangement was the best legal mechanism for encouraging the production and transmission of new ideas, a manifest public good. Conversly, those who sided with Locke, Young, Diderot, Fichte, and the subjectivist camp argued that there was a natural rignt to perpetual property in ideas and that legal recognition of that right was simply the confirmation in a statute of a universal natural right. »
CARLA HESSE, «The rise of intellectual property, 700 B.C.—A.D. 2000: an idea in the balance», (2002) 131 Daedalus , p.36
Plus ça change, plus c’est pareil !
Ce contenu a été mis à jour le 2013-08-20 à 12 h 08 min.