2017 L’assaut propriétaire des savoirs scientifiques et traditionnels
Plan
1. Les communs du savoir
2. L’extraction illégitime par la propriété intellectuelle des savoirs scientifiques et des savoirs traditionnels (notre thèse)
3. L’assaut illégitime mais légale des savoirs scientifiques et savoirs traditionnels
4. Conclusion et perspectives de recherche
Résumé
Les communs sont des moyens de création des savoirs (Ostrom et Hesse, 2007 : 42 à 63). Les interactions entre les acteurs communaitaures et les ressources s’opère en vertu d’un ordre normatif qui s’inscrit dans les théories du pluralisme juridique (Macdonald Les asymétries de pouvoir et les architecture institutionnelles constituent des chantiers prioritaires dans les communs des savoirs (Weinstein 2013). Il existe des communs ouverts et fermés qui, dans les deux cas, constituent des moyens de création de valeur à même titre que les firmes et les marchés (Benkler, 2017). La propriété intellectuelle transforme les savoirs communs en marchandise (Coriat 2012 : 42).
Nous proposons que les savoirs scientifiques et les savoirs traditionnels constituent des communs principalement fermés. De plus, la propriété intellectuelle permet à des acteurs économiques extérieurs à ces communautés d’extraire des marchandises intellectuelles de ces communs, ce qui constitue une appropriation légale mais illégitime: légale en vertu du cadre juridique étatique (et largement néolibéral) mais illégitime en vertu du cadre de normatif communautaire.
1. Les communs du savoir
NOTE: cette section est adaptée de plusieurs section de ma thèse de doctorat, que je propose ici en format hautement édité
1.1 Les apports de Hess et Ostrom
Les travaux de Ostrom et Hesse sont incontournables pour étudier comment les communs sont des moyens de création des savoirs. (Ostrom et Hesse, 2007 : 42 à 63). Ostrom et Hesse articulent l’Institutional Analysis and Development Model, développé pour analyser les communs dans le domaine environnemental (Ostrom 1990), afin d’étudier les situations où émergent des communs du savoir. Dans ce contexte :
We define institutions as formal and informal rules that are understood and used by a community. Institutions. as we use the term here, are not automatically what is written in formal rules. They are the rules that establish the working “dos” and “don’ts” for the individuals in the situation that a scholar wished to analyse and explain. (Ostrom et Hesse, 2007 : 42)
L’intérêt de ce cadre est donc de comprendre comment les ressources et leurs caractéristiques sont employées dynamiquement par des membres de la communauté grâce à des règles afin de produire des extrants, qu’il est possible d’évaluer par des critères précis. Ainsi :
« In contrast to the situation with a fishery or a grandwater basin, it is much more difficult to grasp who the entire community is that is contributing to, using, and managing a knowledge commons. We can start by assessing who the information users, information providers, and information managers or policymakers are. » (Hess et Ostrom, 2007 : 48)
Par ailleurs, cette hétérogénéité des acteurs est inhérente au patrimoine informationnel commun et elle produit une complexification de l’ordonnancement des intérêts (Hess et Ostrom, 2007 : 49). Ces relations récursives, entre la communauté et l’intelligence, brouillent encore plus les pistes de recherche.
Le dernier élément proposé par Hess et Ostrom (2007 : 50) concernant les caractéristiques des ressources sont les règles utilisées (rules-in-use). Ces règles dépassent largement la définition initiale de la compréhension partagée des normes qui indiquent quoi faire ou ne pas faire en plus des sanctions, aussi minimales soient-elles. En effet :
« When these normative instructions are merely written in administrative procedures, legislation, or a contract and not known by the participants or enforced by them or others, they are considered rules-in-form. Rules-in-use are generally known and enforced and generate opportunities and constraints for those interacing. These rules can be analysed at three levels : operational, collective choice, and constitutional. » (Hess et Ostrom, 2007 : 50)
Selon Orsi (2013 : para. 71), Ostrom
propose une définition de la propriété décomposée en cinq droits en rapport avec les [Common pool resources] : le droit d’accès, le droit de prélèvement, le droit de gestion, le droit d’exclure, le droit d’aliéner. Ces droits sont indépendants les uns des autres, mais dans de nombreux cas de CPR, notamment des pêcheries, ils sont, la plupart du temps, détenus de manière cumulative.
Orsi (id.) précise que la théorie d’Ostrom regroupe aussi que les normes édictées par la communauté en deux ordres hiérarchiques, soit opérationnelles, soit
« niveau supérieur dit de choix collectif (« collective-choice rights ») où se définissent les règles qui seront appliquées au niveau opérationnel. À ce niveau se situent trois types de droits : le droit de gestion (management), le droit d’exclure et le droit d’aliéner. » (id.)
Ainsi, les théories des communs centre son analyse sur le rôle des acteurs sociaux, oeuvrant autour de ressources, dans le cadre d’un ordre normatif qui leur est propre. Il s’opère certainement dans le cadre juridique édicté par l’État, par les lois et le rôle des cours de justice, mais il est animé par une dynamique qui lui est propre.
Il existe des communs ouverts et fermés qui, dans les deux cas, constituent des moyens de création de valeur à même titre que les firmes et les marchés (Benkler, 2017). Ainsi :
The defining characteristic of open access-commons, by comparison to property, whether individual or collective, is their utilization of (a) symmetric use privileges for (b) an open, undefined set of users in the general public, rather than (a’) asymmetric exclusive control rights located in the hands of (b’) an individual legal entity or defined group (club) use, and (c) their primary reliance on queuing and some form of governance-based allocation, rather than (c’) price-cleared models, for congestion-clearance and management. Far from being necessarily less efficient or unsustainable, for substantial classes of resources, we have observed many critical resources migrating from provisioning based on a reasonably well-developed market in private exclusive rights to open commons. These migrations have not occurred through regulatory intervention, but rather through private actions of users and producers. (Bencher 2017 : 256)
Dans le domaine numérique, Benkler (2017 : 256) identifie et explique comment les domaines suivant sont des communs ouverts: Internet, Wi-Fi et des communs similaires en télécommunication sans fil, FOSS, libre accès au savoir dont Wikipedia et dans l’édition scientifique.
Weinstein identifie deux chantiers à relever dans le contexte de la marchandisation des savoirs en communs, « la prise en compte de la question du pouvoir et des rapports de pouvoir, laquelle est étroitement liée à celle de la répartition des revenus et des richesses » (Weinstein, 2013 : para. 67) puis de conceptualiser les « architectures institutionnelles et aux complémentarités institutionnelles » (Weinstein, 2013 : para 68).
Afin de comprendre comment nous pouvons étudier un cadre juridique privé dans le contexte de l’ordre juridique dominant de l’État, nous analysons les théories juridiques du pluralisme.
1.2 Les communs comme vecteur du pluralisme juridique
Les travaux de Hess et Ostrom introduisent une articulation de l’émergence normative qui s’apparente grandement au pluralisme juridique, tel que théorisé par Roderick A. Macdonald (2011, 2005) et Guy Rocher (1988).
Roderick A. Macdonald, conceptualise en droit la gouvernance. Grâce à cette théorie, il précise qu’aucune discipline n’a le monopole sur les concepts de « choix d’instrument, » c’est-à-dire la méthode de mise en œuvre d’une politique qu’il nomme aussi gouvernance – ni le droit, ni les sciences politiques, ni l’administration publique, ni l’économie, ni la sociologie (2005, p. 203-241). Il faut donc établir une dialectique entre ces disciplines au sujet de la gouvernance.
Macdonald rejette trois postulats associés au domaine du choix d’instrument pour mettre en œuvre un projet social. Pour lui, les choix sociaux sont teintés par leur époque et l’historicité d’un choix d’instrument change avec le temps (2005 : 206). Ensuite, il avance que, en droit :
«nonstate actors and multilevel governance through overlapping legal and normative orders at both the substate and superstate levels are emerging as appropriate objects of study.» (2005 : 207)
Le rôle du droit posé par l’État ne doit donc pas être surestimé. Il ne faut pas le classer au sein d’une catégorie analytique distincte des autres ordres normatifs («”informal” or “inchoate” alternatives to the state») (Macdonald, 2005, 207). La gouvernance devient ainsi le mécanisme de mise en œuvre du choix d’instrument et Macdonald la définit comme étant :
«the endeavour of identifying and managing both aspirations and action in a manner that affirms and promotes human agency.» (2005 : 207)
Il prend pour acquis que tous les êtres humains sont des agents (et non simplement des sujets) qui participent pleinement à un destin commun. Sa position est optimiste et, pour lui, la gouvernance consiste à
«providing facilities, processes and institutions by which these common endeavours may be realized.» (2005 : 207)
Macdonald s’inscrit à contrecourant de la théorie dominante en droit, celle du positivisme telle qu’exprimée par Kelsen (1962) ou l’école du «legal process» de Hart (1997). L’objectif de Macdonald est de positionner l’intervention des individus en fonction de leurs actions en prenant ses distances de la vision interventionniste de l’État :
«Human beings express thier agency through their acts of self-governance and through their voluntary or coerced participation in governance structures that they share with others and that channel the occasions for exercising this human legacy.» (2005 : 217)
En fait, pour Macdonald, les citoyens font beaucoup plus que simplement respecter les règles de droit, ils en créent (2005 : 238 «citizens are not merely law-abiding; they are law-creating») . À juste titre :
«A critical legal pluralism opens a range of inquiries about the nature of legal regulation. A critical legal pluralism must come to terms with the notion that it is not just norms, not just rules, which are infinitely various; so too are the institutional arrangements through which they are conceived, promulgated, and made operational. A non-chirographic critical legal pluralism invites scholars to ask what circumstances make for more formality or less in both state and non-state settings. More generally, a critical legal pluralism must help us to understand not only the relationship of normative systems to one another but also their internal architecture and dynamics. (2011 : 326)
Les travaux de Macdonald sur la gouvernance s’arriment à la théorie pluraliste du droit, que Guy Rocher (1988) à conceptualisé grâce aux ordres juridiques:
Le concept d’ordre juridique apporte à la sociologie une contribution fondamentale : il permet de discerner, dans l’ensemble de la normativité et du contrôle social d’une société, des unités d’action sociale présentant exactement les mêmes traits structuraux, le même fonctionnement et les mêmes fonctions que l’ordre juridique étatique. Partant de ce dernier, tellement visible et omniprésent dans les sociétés modernes qu’il paraît occuper tout le champ du juridique, la sociologie découvre progressivement d’autres ensembles d’action sociale qui peuvent être découpés dans l’univers normatif global de la société et être analysés comme des ordres juridiques, sur le modèle de l’ordre juridique étatique. (Rocher, 1988 : 106)
La théorisation de Rocher des ordres juridiques offre l’occasion de positionner les règles communautaire à l’intérieur du rôle des ordres régliens Justement, Rocher (1988 : 104) propose une théorisation étoffée des paramètres qui constituent un ordre juridique : règles ou normes; agents élaborant, interprétant et appliquant celles-ci; intervention; légitimité des agents; cohésion; stabilité. Ainsi, la théorie pluraliste des ordres juridique permet:
d’explorer la dynamique des rapports d’interinfluence entre les ordres juridiques, notamment entre l’ordre juridique étatique et les autres. On sait, bien sûr, et le juriste mieux que les autres, que l’élaboration, l’interprétation et l’application des règles de droit ne se font pas suivant la seule logique juridique, ni à l’intérieur du seul droit. Elles sont influencées par des normes, des règles, des principes venant de l’extérieur du droit. » (Rocher, 1988 : 116)
Le pluralisme juridique de Rocher et la gouvernance de Macdonald proposent que deux ordres juridiques peuvent exister dans un même espace : celui de l’État, l’ordre régalien, et celui de la communauté.
Maintenant que nous avons analysé comment un ordre communautaire peur se comprendre dans le cadre législatif ou jurisprudentiel étatique, nous allons expliquer comment des acteurs économiques externes emploient la propriété intellectuelle (ordre régalien) pour effectuer des opérations d’extractions de savoir légalement mais en enfreignant les normes communes. Dans ce cas-ci, la propriété intellectuelle n’interdit pas l’accès opéré par les acteurs économiques même si les agents des communs l’interdit dans le contexte d’un commun fermé.
2. L’extraction par la propriété intellectuelle des savoirs scientifiques et des savoirs traditionnels
Si un savoir est créé dans un commun, des intérêts commerciaux extérieurs à la communauté peuvent s’approprier légalement ce savoir par les cadres juridiques de la propriété intellectuelle. Cette situation s’exacerbe dans un commun fermé comme les communs de savoirs scientifiques et de savoir traditionnels.
Les savoirs scientifiques et traditionnels constituent des communs au sens de Hess et Ostrom (2007). De plus, ils sont des communs fermés au sens de Benkler (2017), car la participation au commun par un individu donné suit une codification dont la typologie est déterminée par le groupe lui-même et qui mène à l’exclusion par défaut d’individu extérieur au groupe. Nous observons que des activités d’extraction s’opèrent par des agents économiques selon le cadre légal de la propriété intellectuelle mais à l’extérieur de ce que le groupe considère comme légitime selon leur cadre normatif privé. Ainsi, l’action des agents économique serait légale mis illégitime, ce qui introduit une forte asymétrie de pouvoir, voire une dimension de violence, de cet agent économique envers les acteurs du groupe.
La propriété intellectuelle transforme les savoirs communs en marchandise (Coriat 2012 : 42).
Brevet : exclusion sur la façon de faire
Droit d’auteur: exclusion sur la façon d’exprimer
Marques de commerce: exclusion sur l’identité
Design industriel: exlusion sur la fonction de l’objet
Les acteurs économiques extérieurs aux communs fermés des savoirs scientifiques et des savoirs traditionnels emploient les régimes de propriété intellectuelle pour exclure les membres des communs de leur propre savoir, mais s’approprier les savoirs communs et d’enfreindre les règles communes sur leur accès.
3. L’assaut illégitime mais légale des savoirs scientifiques et savoirs traditionnels
Savoir scientifiques
- L’oligipole éditorial comme facteur de centralisation du pouvoir par les licences éditoriales
- La réponse de l’accès libre
Savoirs traditionnels
- Biopiraterie (brevets pharmaceutiques sur le vivant et les pratiques en médecine traditionnelle)
- Marques de commerces et l’iconographie autochtone
- Les contes et légendes et le droit d’auteur
- La réaction à marchandisation des savoirs traditionnels par un instrument juridique international à l’OMPI. (identifier, décrire,
4. Conclusion et perspectives de recherche
Le rôle de l’anthropologie dans l’analyse des dynamiques menant à l’articulation des normes communes.
Ce contenu a été mis à jour le 2018-01-30 à 15 h 12 min.